Cuba s’invite à Rabat

Gustavo Acosta. Le vent. 2017. Acrylique sur toile

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L’exposition « De l’autre côté de l’Atlantique : L’art cubain » présente un panorama éclectique de l’art cubain moderne et contemporain, dont un ensemble d’œuvres de l’artiste phare Wifredo Lam pour la première fois montrées en Afrique.

À ceux qui s’interrogeraient sur le focus que le MMVI de Rabat consacre à l’art cubain, on pourrait rappeler la vocation universaliste du musée. « On concrétise aujourd’hui cette volonté de démocratiser l’action culturelle et on s’ouvre à d’autres cieux qui n’ont pas été encore découverts par le visiteur marocain, explique Abdelaziz El Idrissi, directeur du musée et commissaire associé de l’exposition avec José Manuel Noceda Fernández. L’art comme le sport est un moyen de rapprochement, un moyen de compréhension, ajoute-t-il. C’est important de s’ouvrir et d’apprendre des autres ». Sans doute le réchauffement entre les deux pays depuis 2017, après 37 années de rupture diplomatique, consacre-t-il l’entrée dans une nouvelle ère de coopération culturelle.

Esterio Segura. Des idées profondes à la surface. 2023. Impression photographique sur tissu. Édition de 3 + 1 E. A.

Ambitieuse, l’exposition « De l’autre côté de l’Atlantique : l’art cubain » fait tout d’abord la part belle à des œuvres de l’artiste internationalement connu, Wifredo Lam, dont les amitiés avec André Breton ou Pablo Picasso ont orienté le travail vers une esthétique mêlant cubisme et surréalisme. Mais ses œuvres, le plus souvent sur papier, restent aussi marquées par un syncrétisme propre à la culture cubaine fortement influencée par la Santería, cette pratique religieuse dérivée de la religion yoruba très présente en Afrique de l’Ouest. Les deux autres parties de l’exposition relatives à l’abstraction géométrique de Loló Soldevilla et Sandu Darié, contemporains des artistes de l’École de Casablanca, et à un panorama éclectique de l’art contemporain, se caractérisent toutes deux par une même ouverture sur le monde ; signe peut-être de l’insularité du pays et attrait pour un monde extérieur qui lui a été longtemps inaccessible. « Je pense que les années 1940 ont été importantes pour l’art cubain, caribéen et d’Amérique du sud en général, commente le curateur José Manuel Noceda Fernández, dans cette capacité à faire dialoguer le local et l’universel. Cette perspective qui consiste à transcender son contexte socio-culturel caractérise aussi les artistes contemporains. »

Gustavo Acosta. Le vent. 2017. Acrylique sur toile

Force est de constater que les propositions de la vingtaine d’artistes contemporains sélectionnés, aussi à l’aise dans l’animation, la vidéo, la peinture que l’installation, sauront séduire le visiteur marocain dans leur habileté à aborder des questions épineuses. Ainsi des impasses du modernisme et de la problématique des visas évoquées non sans humour par les installations d’Abel Barroso, des contradictions des hommes de pouvoir ironiquement soulignées par les 44 toiles  de José Ángel Toirac représentant dans des détournements publicitaires savoureux la figure de Fidel Castro. Seul artiste contemporain ayant fait le voyage au Maroc, Kadir López imagine, dans une installation multimédia de néons éclatants, La Havane noire, un jeu de Monopoly qui rendrait hommage à un Cuba interlope entravé par les sanctions américaines ; signe que la liberté créatrice reste toujours plus forte que tous les diktats.

Olivier Rachet

« De l’autre côté de l’Atlantique : L’art cubain », Musée Mohammed VI, Rabat, à partir du 23 février 2024.
Wifredo Lam Face au Tiers Monde. Musée national des beaux-arts, La Havane, 1966. Photo fixe pour le documentaire Wifredo Lam, de Manuel Lamar.
Adriana Arronte. De la série « Data Policy » 2023-2024. Montage (10 pièces. Métal, ancien coupe-papier, cire de scellement gravée