EDITO 49: L’art, c’est du soft power

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Aujourd’hui s’ouvre à Casablanca l’exposition « Prête-moi ton rêve » qui, pendant un an, va parcourir l’Afrique. Dakar, Abidjan, Lagos, Addis-Abeba, Le Cap, pour revenir à Marrakech : Diptyk présente un dossier « coulisses » de la première étape. Alors que débute cette odyssée africaine, qui expérimente la puissance de l’ingénierie artistique marocaine sur le continent, curieusement, à la Biennale de Venise, et en dépit d’une scène contemporaine prometteuse que l’on voit se débattre dans un bocal fermé, le Maroc continue de briller par son absence. Certains pays ont compris qu’une présence dans la Cité des Doges tous les deux ans, intelligemment pensée et présentée aux yeux du monde, vaut mille projets domestiques. Ne parlons pas de pays comme les États-Unis, la France ou l’Allemagne qui se prêtent à l’exercice depuis plusieurs décennies. Il y aurait d’ailleurs fort à dire sur la corrélation entre les choix artistiques de ces pays et leur situation géopolitique*. Certains pays africains ont compris qu’un pavillon à Venise porte haut la voix d’un pays et dessine, dans le domaine de la diplomatie culturelle, une géopolitique des soft powers.

Présent pour la première fois, le Ghana montrait El Anatsui, Akomfrah, Mahama, Yiadom… des artistes superstars de la diaspora, portés par une scénographie signée de Sir David Adjaye, architecte lui aussi superstar, avec l’héritage, l’impulsion et l’intelligence d’un curateur nommé Okwui Enwezor, disparu il y a trois mois, et qui a donné du souffle et la bonne dimension à un tel projet. Ce pavillon national méritait le Lion d’or, il ne l’a pas eu, mais quel succès !

Le premier pavillon de Madagascar accueillait un artiste dont on publie le portrait, Joël Andrianomearisoa, porté par l’aura d’une success story, celle de Revue Noire. Cette formule soft force l’admiration, c’est simple, c’est beau, c’est intelligent et c’est tellement possible. Lisez le très beau texte de Simon Njami sur ce sujet. Côte d’Ivoire ? Zimbabwe ? S’ils avaient le mérite d’être là, ces pays ne sont pas des modèles à suivre. L’Égypte ? Voilà le cas intéressant d’une ancienne nation forte, seul pays arabe et africain à disposer d’un pavillon ancien dans les Giardini aux côtés des pays puissants, France, Grande-Bretagne, États-Unis…. et pourtant, rien n’est jamais acquis. L’Égypte proposait un arrangement d’une kitscherie dont on cherche encore le second degré… Pour se consoler, il fallait aller voir la très belle exposition « Luogo e Segni », écrite par la curatrice Mouna Mekouar, qui consacrait un des plus beaux espaces de la Punta della Dogana à une installation de l’artiste marocain Hicham Berrada.

2021 n’est pas loin. Artistes locaux ou issus de la diaspora, ingénierie de production, curateurs… auxquels s’ajoute un secteur privé capable de porter un tel projet. Le Maroc a tout cela. Mais la recette ghanéenne tient dans le titre de leur pavillon, « Ghana Freedom », du nom d’une chanson composée en 1957, à l’aube de leur Indépendance. Six artistes de trois générations ont examiné la trajectoire de cet élan libertaire. Et nous, qu’avons-nous à dire au reste du monde?