Kamal Essoussi donne vie aux rêves des artistes

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Situé à Tétouan, l’atelier de Kamal Essoussi est devenu en quelques années le lieu privilégié de production d’oeuvres en résine vers lequel se pressent la plupart des artistes. Il nous ouvre les portes de son antre.

Le contraste est saisissant. Vu de l’intérieur, l’atelier de Kamal Essoussi, situé face à la médina de Tétouan, donne sur un paysage fluvial en partie asséché dans lequel les flamants roses n’hésitent pas à venir s’ébrouer. Quand on se tourne en direction de l’espace de travail, la contemplation fait place au labeur. Deux assistants de cet homme à tout faire, passé maître dans l’art de façonner des œuvres en résine, s’exercent à sculpter les centaines de pièces qui jalonneront la prochaine exposition de l’artiste sénégalais Diadji Diop au Comptoir des Mines.

C’est d’ailleurs ici qu’a été en grande partie conçue la dernière exposition de Yasmina Alaoui, « Binatna », également au Comptoir des Mines, qui comportait un buste en résine transparent. « La résine est une matière noble que l’on peut transformer, affirme Essoussi. C’est la seule matière que je connaisse à avoir cette plasticité. » Pour donner naissance au buste entièrement vide dans lequel étaient enserrés des cheveux de Yasmina Alaoui, il a fallu suivre plusieurs étapes de moulage des plus délicates. Un véritable défi relevé par l’artisan-artiste aux mains d’argent.

« J’aime que les artistes puissent ici concrétiser leurs rêves », nous confie Essoussi, des étoiles dans les yeux. Le parcours de ce magicien de la matière est lui aussi des plus saisissants. Il étudie d’abord au lycée technique Moulay-Youssef de Tanger, où il s’exerce à créer des volumes et apprend la soudure et la menuiserie. Il croise alors le jeune Younès Rahmoun, d’un an son aîné, avec lequel il entretiendra une amitié jamais démentie. Puis, il se lance dans le design et l’architecture d’intérieur. Au début des années 2000, après avoir été vendeur ambulant de cigarettes, il aménage plusieurs cybercafés et magasins, concevant même le mobilier du nightclub mythique de Marrakech, Le Pacha.

Vue de l'atelier de Kamel Essousi. Crédit photo : Amine Houari.

Le secret des matières

De fil en aiguille, cet homme qui dit « connaître par coeur le secret des matières » commence à collaborer avec des artistes tétouanais tels qu’Abdelkrim Ouazzani ou Faouzi Laatiris. Mais là encore, tout est question d’alchimie. Avec lui, ça passe ou ça casse ! « Je suis un professionnel qui travaille avec des artistes qui ne savent pas toujours travailler de leurs mains », explique-t-il sans aucune forfanterie. Parfois, le courant ne passe pas, tant il est difficile de prendre la place du créateur qui se rêve toujours quelque peu en démiurge.

Aujourd’hui, son savoir-faire est reconnu de tous et on ne compte plus ses collaborations avec les artistes les plus en vogue, de Safaa Erruas à Mohamed Arejdal, en passant par Yassine Balbzioui ou Mohamed El Baz. Son compagnonnage avec Younès Rahmoun n’aura jamais connu de vents contraires. C’est lui qui seconde l’artiste pour la réalisation, en 2015, de son installation Manzil-Janna, composée de sept sculptures translucides en résine blanche prenant la forme de maisons supportées par des échasses.

En 2022, il conçoit pour l’exposition « Madad », à la galerie parisienne Imane Farès, plusieurs maisons en résine remplies de paillettes qui, sous l’effet de la lumière, multiplient les couleurs. Imane Farès ne s’y est pas trompée qui, à ce jour, a rendu visite à deux reprises à Essoussi afin de percer des secrets de fabrication qui ne nous seront jamais entièrement dévoilés. Le mystère reste intact.

Olivier Rachet