LA TURQUIE, NOUVEL ELDORADO DE L’ART CONTEMPORAIN

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C’est le nouveau dada des collectionneurs. En cinq ans à peine, l’art turc a poussé la porte des plus grandes institutions artistiques internationales.

Tout commence en 2007, alors que l’art moderne international part en quête d’un nouveau marché. La scène stambouliote, dynamique et en pleine expansion, est un terrain fertile. L’effet est explosif : en dix ans, l’art turc passe d’une structure amateur à un véritable « business ». Il s’introduit dans les ventes spécialisées de Sotheby’s, Christie’s et, pour la première fois, est présenté chez Bonhams Londres en avril dernier. On le découvre en France à l’occasion de l’année de la Turquie (2009), à Art Basel, la FIAC, Art Dubaï, la Biennale de Venise mais aussi dans les musées internationaux et collections privées. En 2010, le marché turc atteint une valeur annuelle de 100 millions de dollars, soit 20 fois plus qu’en 2002, corollaire inévitable de l’explosion des galeries, aujourd’hui au nombre de 300.

Pour obtenir un tel résultat, les acteurs économiques misent sur les opportunités internationales. C’est ce qu’explique Kerimcan Guleryuz deThe Empire Project qui présente les artistes Sinem Disli, Sena, Nalan Yırtmaç̧, Mehmet Güleryü̈z ainsi que l’Allemand Jasper de Beijer : « Alors que la scène turque gagne en maturité, le nombre de galeries qui montrent du contenu international augmente également. Le problème était qu’au niveau local, le fonctionnement ressemblait beaucoup à celui d’un magasin : une sélection d’artistes types montrant des travaux généralement dépourvus de tout contenu qui ne participe pas à une évolution ou à une maturité intellectuelle et artistique. Ces galeries ne sont que des expériences commerciales. Je pense qu’aujourd’hui encore, les galeries ont besoin d’être plus audacieuses. Une nouvelle approche était nécessaire et, créer une plate-forme internationale qui intègre des travaux novateurs, allait naturellement être un succès ».

Un modèle de création hybride

Néanmoins, pour les maisons de ventes étrangères, l’art contemporain turc reste une scène jeune dont il faut estimer la valeur marchande. Dépourvue de toute organisation dirigeante ou de Conseil des arts, il revient à tout un chacun de s’assurer que les œuvres ont été évaluées de manière transparente. « L’engagement des fonds pour l’art rend la tâche difficile dans le monde entier. Le problème ne se limite pas aux marchés émergents mais au marché de l’art dans son ensemble », relativise Kerimcan Guleryuz. Alors, qu’est-ce qui rend la scène turque aussi attrayante ? A cheval entre les traditions artistiques de l’islam et une tendance profane venue de l’occident, d’où la Turquie tire-t-elle son inspiration ? Les questions visant à caractériser l’art contemporain turc ont le vent en poupe. Par logique ou par habitude, on écume les grandes thématiques sociales : la sexualité, l’identité, mais aussi la ville et ses habitants… « Je crois qu’essayer de classer un art contemporain turc comme on le fait avec l’art chinois est une erreur. Si vous cherchez un certain esprit oriental se rapportant à la Turquie, vous allez échouer. La force de l’art contemporain turc est d’être constitué d’inspirations à la fois locales et internationales », souligne Yesim Turanli de PI Artworks. Composite à l’image de sa population, l’art turc entremêle les différences ethniques, les vécus, les âges et les centres d’intérêt. Une diversité réunit sous des formes artistiques innovantes, plurielles et éminemment ouvertes politiquement. « La Turquie moderne se construit sur un héritage impérial vieux de plus de cent ans, rappelle Moiz Zilberman de CDA ProjectsCes dernières années, la nouvelle génération d’artistes a trouvé sa voie. C’est en se libérant de son propre passé qu’elle a pu se découvrir et gagner en dynamisme ».

Cette tension entre tradition et modernité est aujourd’hui encore le thème privilégié des artistes. C’est par exemple le sujet des Contes du serpent(1994), le premier long métrage du cinéaste Kutlug Ataman, récompensé par le Prix Abraaj en 2009 et dont les œuvres font partie de collections telles que le MoMA de New York et le Tate Museum. Mais aussi celui de la photographe Özlem Simsek présenté à Marrakech Art Fair par CDA Projects, qui transpose les portraits féminins des grands peintres turcs en de déroutantes mises en scène. L’art contemporain est un modèle de création hybride, inspiration d’hier et d’aujourd’hui, de l’histoire sociale turque et des techniques occidentales. Un éloge de la copie aux formes artistiques aussi variables qu’inattendues, sans cesse confrontées au désir insatiable de création et à cette capacité de critiquer ses propres limites. Pour augmenter, encore et toujours, le champ des possibles.

Cet article a été publié dans diptyk n°12, octobre-novembre 2011.