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ALGÉRIE : SOUS LA LÉTHARGIE, ÇA BOUILLONNE

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La scène algérienne souffre d’une trop forte emprise étatique et d’une absence d’alternative privée.

S’il existe au Maroc des poches de respiration échappant au corset de l’Etat, tel n’est pas le cas de l’Algérie. Dans ce pays encore traumatisé par les années noires de la guerre civile, toute action culturelle n’est que d’ordre étatique. Il n’existe pas de marché de l’art à proprement parler, très peu de galeries ou de collectionneurs. « Un Algérien qui réussit préfèrera construire une mosquée qu’acheter de l’art », ironise l’artiste Adel Abdessemed, qui a quitté l’Algérie en 1994.

Certes, cahin-caha, le Musée d’art moderne et contemporain d’Alger, ouvert en 2007 et dirigé par Mohamed Djehiche, s’efforce d’effectuer un travail sérieux. Depuis 2009, l’institution organise le Fiac (Festival international d’art contemporain), destiné à initier le public algérien à l’art contemporain. Cet événement avait ainsi invité pêle-mêle les artistes Kader Attia, Taysir Batniji, Bita Fayyazi ou le duo français Art Orienté Objet. « Le ministère de la Culture multiplie les festivals pour diffuser une culture grand public, souligne l’artiste et écrivain Mustapha Benfodil. Mais force est de constater que les œuvres mises en avant sont le plus souvent mièvres, consensuelles, aseptisées, et d’une affligeante indigence esthétique. Ce que nombre d’artistes reprochent, par ailleurs, au ministère, c’est de privilégier une politique événementielle de la culture au détriment des actions pérennes ». Et de rajouter : « La grande majorité des artistes algériens de talent se produisent soit à l’étranger, soit dans des lieux confidentiels, quand ils ne sont pas tout bonnement réduits au silence par la censure directe et surtout indirecte qui est la plus sournoise et la plus perfide… Il ne sert à rien d’avoir une infrastructure culturelle si celle-ci n’obéit pas à un fonctionnement démocratique et n’est pas gérée d’une façon indépendante ».

La majorité des salles de spectacle n’ont en effet pas de directeur artistique ou de comité de lecture… Frappée par la censure à la Biennale de Sharjah, l’œuvre Maportaliche/It has no importance de Mustafa Benfodil aurait été tout autant écartée en Algérie. S’il existe une diaspora active sur la scène internationale, à l’instar de Adel Abdessemed, Kader Attia, Yazid Oulab, Zineb Sedira ou Mohamed Bourrouissa, l’enseignement à l’étuvée de l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger freine l’émergence d’une scène instruite et critique.  en attendant la révolution…

De fait, à quelques exceptions près comme l’artiste Amina Menia, dont le travail a pu se ressourcer grâce aux résidences effectuées à l’étranger, la scène algérienne souffre d’un nivellement par le bas. « En attendant que les révolutions tunisienne et égyptienne fassent escale sous nos latitudes, il faudrait multiplier les actions off, mener des offensives en direction de la société, du secteur privé, des mécènes privés pour compenser les déficits de soutien à la création », insiste Mustafa Benfodil. Celui-ci avait orchestré des lectures performances de ses pièces en forme de happening dans des lieux incongrus comme un terrain de volley-ball ou un jardin public.

L’idée de Kader Attia et Zineb Sedira est aussi de créer un lieu alternatif, indépendant de la mainmise publique. Le duo planche depuis quelques années sur le projet d’un centre d’art baptisé « Art in Algiers ». Le coût prohibitif de l’immobilier à Alger n’a pas encore permis à cette structure de trouver un point d’ancrage. Néanmoins, une exposition programmée en décembre 2012 à la Villa Abdelatif servira de préfiguration. « Les gens attendent un tel lieu. L’Algérie est à la fois en mutation et en mode pause. Il y a un côté léthargique imposé et de l’autre, ça bouillonne, souligne Kader Attia. Notre idée est d’ouvrir le pays par le biais de nos propres expériences. Quand on est de la diaspora, on se trouve entre deux mondes. On a envie d’apporter notre contribution, montrer des artistes algériens avec ceux d’autres pays, ouvrir la scène algérienne et ouvrir les artistes étrangers à cette scène ». Zineb Sedira ajoute : « J’ai constaté un vrai désir de la part des artistes étrangers à venir en Algérie. C’est un pays inconnu, mystérieux, sans tourisme, que les gens connaissent peu ou mal. J’ai vu que des artistes ayant des préoccupations autour du post-colonialisme sont très intéressés par le pays ».

D’autres créateurs ont aussi entamé des allers-retours avec l’Algérie, à l’instar de Mehdi Meddaci. Ce jeune vidéaste y a ainsi tourné sa première vidéo, El Djazaïr/Les îlots. Toute son œuvre porte d’ailleurs sur l’idée pendulaire de traversée, de flux et de reflux. « Je n’ai pas un rapport identitaire mais affectif avec l’Algérie, explique cet artiste né d’une mère française et d’un père kabyle. Je vois l’Algérie comme un territoire intime, la reconstruction d’une histoire ». Une histoire qui colle à la peau. Ainsi Zineb Sedira, qui entretient avec l’Algérie un rapport passionné et passionnel, aime-t-elle y montrer ses œuvres, car le public local en mesure davantage les subtilités. Malgré les murs d’incompréhension auxquels il est confronté, Mustapha Benfodil n’entend pas quitter son pays. « Par tous les pores de mon être je respire l’âme, la chair, la poussière de ce pays, explique-t-il. Cette terre est la matrice de mon imaginaire et le socle de mon humus poétique ».

Cet article a été publié dans diptyk n°12octobre-novembre 2011.

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