L’enfance, paradis perdu des peintres ?

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Pour son inconséquence ou son espièglerie, l’enfant est un motif souvent représenté en peinture. Si les codes ont changé avec le temps, ne s’agit-il pas toujours de rechercher un paradis perdu ou de confronter les adultes à leur part d’innocence refoulée ?

Souvent associé en histoire de l’art à la question de l’innocence sacrifiée ou à la sérénité de la famille bourgeoise, l’enfance reste un motif privilégié par les peintres. Du Massacre des innocents de Poussin aux portraits de Chardin ou de Renoir évoquant cet âge tendre à travers le cadre protecteur de la famille bourgeoise, l’enfant séduit par les promesses qu’il incarne. En devenir, en perpétuel mouvement, sa représentation a longtemps constitué un défi pour les artistes confrontés à l’impossibilité d’exiger de leurs modèles un temps de pose conséquent. Si la photographie à laquelle de nombreux peintres ont aujourd’hui recours semble avoir éloigné cette difficulté, les artistes chérissent toujours ce motif pour le potentiel créatif qu’il continue d’offrir.

Anuar Khalifi, Dust Riders, 2018, acrylique sur toile, 125 x 98 cm. Courtesy de l’artiste et The Third Line, Dubaï.

Ainsi aime-t-on toujours croquer des scènes où se révèle toute l’espièglerie de bambins toujours enclins à la moindre bêtise, comme en témoignent les jeux de rôles auxquels recourt Yassine Balbzioui. Peintre du masque et de la mascarade perpétuelle, l’artiste aime souligner le caractère ludique d’un monde qui est aussi celui des adultes. Arrivé en peinture à partir de dessins souvent parodiques, Anuar Khalifi a longtemps portraituré de jeunes êtres turbulents dont le caractère indomptable semble être de mise. De même, Mohamed Saïd Chair se plaît à évoquer, dans ses toiles, le caractère trublion de l’enfance. L’idée de portraiturer ses personnages en enfermant leur tête dans une boîte en carton lui est d’ailleurs venue en observant jouer des enfants dans la rue.

Mariam Abouzid Souali, Echos of memory, 2020, technique mixte sur toile, 150 x 120 cm, courtesy galerie Cécile Fakhoury, Dakar

Un trait corrosif

L’enfance est le lieu du plaisir par excellence, mais il est aussi celui de l’apprentissage. S’il s’initie aux valeurs du monde qui l’entoure, l’enfant est aussi celui qui découvre les vicissitudes de l’existence et le mal qui lui est corollaire. Armés de pistolets inoffensifs, les petits garnements de Balbzioui regardent souvent le spectateur du coin de l’œil, avec une audace et un affront bien trempés.

Pour l’un de ses tableaux, Monday means school days, Yasmine Hadni dit s’être inspiré du film de Haneke Le Ruban blanc, pour la cruauté sans doute dont les enfants savent faire preuve. Abandonnant la marque expressionniste qui lui permettait à ses débuts d’exacerber les traits de ses portraits de famille, la peintre privilégie aujourd’hui des lavis au pastel donnant à ses modèles un aspect plus inquiétant. Souvent l’innocence associée à l’enfance sert de contre-point pour évoquer le monde coupable des adultes.

Ainsi en va-t-il pour Mariam Abouzid Souali dont les jeux d’enfants sont confrontés, à travers de subtils changements d’échelles, aux tâches harassantes que leur confient parfois les adultes. De portée allégorique, ses tableaux s’attachent à révéler les injustices dont les enfants sont souvent les premières victimes. En témoignent ses œuvres en cours de réalisation dans lesquelles l’artiste marche sur les pas du tableau de Poussin Le Jugement de Salomon. 

Amina Rezki, Untitled, 2021, Technique mixte sur toile, 100 × 100 cm. Courtesy de l'artiste et Loft Art Gallery.

L’enfance de l’art

Peindre l’enfance, ne serait-ce pas alors retrouver une innocence plus ou moins perdue ? N’est-ce pas cet impératif du temps qui passe conduisant aujourd’hui Amina Rezki à se représenter enfant devant une toile de Rubens dont elle explique que la rencontre détermina sans doute sa vocation d’artiste. Travaillant actuellement à partir de portraits de famille, l’artiste multiplie les clins d’œil à cet âge d’or de l’insouciance qui reste chez elle empreint d’une inquiétude sourde ouvrant toujours sur un imaginaire quasi surréaliste.

L’artiste, cet éternel enfant qui refuse de grandir ? Peut-être. Les récentes huiles sur toile de Sanae Arraqas représentant un enfant venant de naître élargissent non seulement sa palette de couleurs, mais lui font préférer aux thématiques urbaines celle d’un cocon familial porteur de toutes les promesses de bonheur. Regarder le monde avec le regard qui s’éveille de l’enfant, n’est-ce pas aussi l’une des définitions de la peinture ?

Olivier Rachet