Mahi Binebine « la lumière est encore Possible »

Khaled takreti, Le rêve bleu, 2014, technique mixte sur papier, 63 x 47,5 cm

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A l’occasion du 2e Forum mondial des Droits de l’Homme, et malgré le déluge qui s’est abattu sur la Ville Rouge, un monde fou s’est pressé au Musée de la Palmeraie à Marrakech fin novembre pour soutenir « Insoumission », l’expo collective composée par Mahi Binebine.

PROPOS RECUEILLIS PAR MERYEM SEBTI

Selfati, El Baz, Benohoud, Zemmouri, pour ne citer qu’eux… et les ayants- droits de Kacimi. Ils ont tous répondu présents à l’invitation de l’artiste et écrivain marrakchi, auquel le Musée de la

Palmeraie a donné carte blanche comme commissaire d’exposition. Qui mieux que Mahi Binebine pouvait réunir 26 artistes – marocains, africains, arabes et européens – autour de la question des droits humains, un sujet qui imprègne tant son propre travail ? Diptyk a recueilli son témoignage sur sa première expérience de commissaire, et sur cette initiative lancée par le Conseil national des droits de l’Homme. Un moment de solennité mais aussi d’espoir, toujours.

L’art contemporain peut-il encore venir au secours des droits humains ?

Bien entendu. D’un coup de crayon, Picasso a dessiné une colombe devenue le symbole mondial de la paix. Et Goya, dans le regard d’un homme sur le point d’être fusillé, montre toute l’horreur de la guerre. D’une façon générale, les artistes se sentent investis d’une mission donquichottesque de redresseurs de torts. L’art contemporain, tout comme la littérature où le cinéma,

peut dire aux gens : « Regardez-vous, voilà comment vous êtes, voilà le monde que vous fabriquez. » Et cela sonne comme une revanche contre l’inhumain, quand les moyens de cette revanche sont d’ordre esthétique.

Pour avoir été vous-même touché au
plus profond de votre famille, vous êtes particulièrement sensible à la défense des droits de l’Homme. Est-ce un thème de votre travail et comment l’envisagez-vous ?

Un jour, mon frère Aziz m’a dit ceci : « Je suis sorti
de Tazmamart, mais pas toi. » J’ai grandi avec cette absence. Mon travail a été sensiblement influencé par cette tragédie familiale. Je ne pouvais donc pas refuser la proposition faite par Younes Ajarraï, initiateur du projet, d’assurer le commissariat de cette exposition. Cela a été long et fastidieux. Mais j’en tire une vraie fierté parce qu’elle livre, pour revenir à votre première question, un regard à la fois aigu et sensible – celui
des artistes – sur l’état de notre monde et de ceux qui n’ont parfois pas même droit à la parole.

Comment avez-vous choisi les artistes qui participent à cette exposition ?

Mon choix s’est porté sur des artistes qui ont déjà travaillé sur la question des droits humains. Hani Zurob, par exemple, né le dans le ghetto palestinien, peint la solitude et l’enfermement de son peuple. Khaled Takreti est syrien et vit dans l’exil depuis
des lustres. Serwane, un kurde irakien, n’a pas pu obtenir de visa pour assister à l’exposition. Et la
liste est longue… Ce sont des artistes touchés dans leur chair, mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, leurs œuvres ne sont pas déprimantes : elles reflètent une tendre noirceur, un désespoir souriant. Elles disent que la lumière est encore possible, qu’une renaissance des cendres n’est pas une utopie.

Quelles œuvres, selon vous, traitent ce thème de façon particulièrement pertinente ?

Il y a évidemment le grand Kacimi, dont les œuvres voraces m’ont posé quelques problèmes de scénographie : il n’y avait pas moyen de le placer près d’un autre artiste sans qu’il le phagocyte ! Il
m’a fallu ruser pour trouver un juste équilibre dans l’exposition. Je ne suis pas spécialiste pour décrypter sa peinture. Je sais seulement qu’elle me bouleverse, que les démons qui le hantaient font écho aux miens.

Laurent Moulager, quant à lui, est né avec son appareil photo accroché autour du cou. C’est la première fois qu’il ose dévoiler son travail, qui n’a rien à envier à celui des grandes pointures de la photographie. Sa Sculpture vivante (2013) ou son Voile blanc (2013) racontent de façon extrêmement subtile la difficulté d’exister dans un monde malade. Idem pour Marianne Catzaras, gréco-tunisienne, et son fauteuil surréaliste dans un champ de tournesols, qui nous parle de l’enfance meurtrie. Quant à Mourabiti, ses seins

qui se confondent avec une cible n’évoquent-ils pas cette terrible arme de guerre qu’est devenu le viol dans tant de conflits ? De l’ironie, il y en aussi chez
le béninois Romuald Hazoumé et ses bidons de plastique transformés en masques. Imaginez l’idée incroyablement subversive de cet individu : organiser au Bénin une vente caritative au profit des chômeurs occidentaux ! Je ne pourrais malheureusement pas citer tous les artistes, mais venez les découvrir et les fêter, parce qu’ils le méritent.

« Insoumission – L’art pour dire les Droits de l’Homme »

Carte blanche à Mahi Binebine, exposition collective, Musée de la Palmeraie, Marrakech,
jusqu’au 30 décembre 2014.