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Au Qatar, le futur s’écrit culture

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Le point commun entre Kader Attia, Jeff Koons, Virgil Abloh, Dior et le Mondial de football ? Tous ont compris que Doha est the new place to be. Sous l’impulsion de la visionnaire cheikha Al Mayassa Al Thani, présidente de Qatar Museums, l’Émirat se fabrique une identité culturelle où cohabitent des expos grand public ou plus edgy. Reportage entre culture et démesure.

La rumeur des engins de chantier bourdonne sans cesse sous le soleil écrasant des rues de Doha. Des hordes de travailleurs s’activent jour et nuit pour que la capitale du Qatar se refasse une beauté et honore ainsi son rendez-vous avec l’Histoire. Pays hôte de la très attendue Coupe du Monde 2022, dont le coup d’envoi sera donné le 21 novembre prochain, le Qatar sait qu’il fera l’objet de toutes les attentions et ne lésine sur aucun moyen. Les enjeux sont en effet de taille sur les pelouses flambant neuves des stades qataris, mais la cheikha Al Mayassa Bint Hamad Bin Khalifa Al Thani préfère disputer d’autres matches.

Le Musée national du Qatar (NMoQ), dont l’architecture en forme de rose des sables a été conçue par Jean Nouvel, a été inauguré en mars 2019. Courtesy : Ateliers Jean Nouvel. Photo © Iwan Baan

Femme de poigne et personnalité publique de premier plan, la présidente de Qatar Museums entend faire de cette péninsule du Golfe persique un hub culturel et artistique d’avant-garde. Un pari audacieux qu’elle mène tambour battant et baskets aux pieds, tout en tenant les rênes de la solide institution nationale qui oeuvre pour le rayonnement de la culture dans la région MENASA. Depuis sa création en 2005, Qatar Museums n’a en effet cessé d’étendre son réseau de musées, de galeries, d’espaces d’art et d’enrichir son offre culturelle.

Le Musée des arts islamiques (MIA), dessiné par l’incontournable Ieoh Ming Pei à qui l’on doit notamment la Pyramide du Louvre, trône depuis 2008 sur les rives du Golfe. Il a été témoin successivement de l’émergence du Mathaf Arab Museum of Modern Art, du Musée national du Qatar (NMoQ), reconnaissable à ses monumentales superpositions de disques de pierres – une rose du désert imaginée par l’architecte Jean Nouvel –, mais également du M7, un incubateur pour le design et l’innovation artistique, de Liwan, un studio pour le développement de la création qatarie qui redonne vie à la première école pour filles de l’Émirat créée en 1950, du 3-2-1, Musée du sport et de l’olympisme, et de bien d’autres encore…

Jeff Koons investit la galerie Al Riwaq de Qatar Museums, le temps de l’exposition « Jeff Koons: Lost in America ». Courtesy : Qatar Museums

Une politique qui voit grand

S’il semble évident que la politique culturelle du Qatar redore la vitrine internationale de ce petit émirat de la péninsule arabique, elle n’en demeure pas moins d’une ambition remarquable. Elle constitue un pilier d’une vision long termiste : la « Qatar National Vision 2030 », dont s’enorgueillit la cheikha Al Mayassa. Les idées comme les ressources ne manquent pas, si bien que Doha se mue progressivement en musée à ciel ouvert. Aux grandioses installations de Damien Hirst, Louise Bourgeois ou Richard Serra, s’ajoutent plus d’une quarantaine de nouvelles œuvres signées Ernesto Neto, Isa Genzken, Subodh Gupta, Tom Classen, etc., émaillant ainsi les rues immaculées de la capitale.

Sur l’une des grandes esplanades piétonnes de Musheireb, nous sommes rejoints par Sara. Vêtue d’une longue abaya ivoire, l’élégante jeune femme, responsable et guide de la visite des oeuvres d’art publiques de Doha, nous présente justement l’une des dernières acquisitions de la ville : une sculpture métallique monumentale signée Mark Handforth, intitulée Turquoise City « en référence aux couleurs dominantes dans les collections Arts islamiques du MIA », informe-t-elle.

« Your Brain to Me, My Brain to You », actuellement au Musée national du Qatar, est la première exposition de l’artiste Pipilotti Rist au Moyen-Orient. Courtesy : Qatar Museums © Ali Alanssari

Les programmations des musées ne sont pas en reste. Le NMoQ, qui assure la mission complexe de tisser des ponts entre l’héritage historique du Qatar et la création contemporaine, offre le temps d’une illusion une immersion sonore et visuelle unique dans l’imaginaire de l’artiste féministe suisse Pipilotti Rist. Intitulée Your Brain to Me, my Brain to You, l’installation est faite d’une constellation de diodes, dont la lumière et les couleurs vacillent au gré d’une musique éthérée. L’expérience y est transcendante, le temps en suspens au cœur de ces 12 000 LED s’activant comme un réseau de synapses complexe. Pour sa première exposition au Moyen-Orient, l’artiste s’inspire des nuances mordorées du désert, des lueurs de la ville et des bleus profonds des eaux du Golfe, et rend hommage « à l’inconscient collectif du peuple qatari, fort et uni », précise la curatrice Bouthayna M. Baltaji, responsable des expositions du NMoQ.

Dans son ambition culturelle hors normes, le Qatar n’échappe pas aux choix eye catchy un peu attendus : ainsi, Jeff Koons, dont c’est l’occasion rêvée d’exposer pour la première fois dans la région du Golfe, investit les couloirs – et les hauteurs – de la galerie Al Riwaq, espace d’exposition temporaire de Qatar Museums. Son expo « Lost in America », qui s’inscrit dans le programme « Qatar USA 2021, Year of Culture », fait surtout le jeu de la soft diplomacy.

Qatar Museums ambitionne de transformer Doha en musée à ciel ouvert : quelque 70 oeuvres d’art ont été acquises pour mettre l’art au coeur de la vie de tous les jours. Sur la photo : Smoke de Toni Smith. Courtesy : Qatar Museums.

L’art de plaire

Même démesure dans le très sélect Culture Pass Club. Présenté comme « une oasis de créativité » au cœur de la ville, ce lieu ne semble répondre qu’à ses propres règles, présenté tantôt comme résidence d’artistes ou lieu de villégiature en fonction des désirs de ses adhérents. Le design de ses townhouses, identiques à première vue, a été confié à des personnalités comme Diane Von Furstenberg, Daniel Arsham, India Mahdavi, Armani, Marie-Anne Oudejans, Donna Karan ou encore aux artistes qataries Aisha Al Sowaidi et Wadha… « CP Club est un espace qui invite à l’inspiration », indique Whitney Robinson, l’un des responsables de ce lieu accessible à quelques happy few et qui semble se soustraire aux aléas du temps. S’il est présenté comme une « muse des temps modernes », le CP Club rappelle également que l’ambition du Qatar embrasse toutes les sphères de la création artistique, comme en témoigne la sublime exposition « Christian Dior Designer of Dreams », curatée par Olivier Gabet, qui occupe deux niveaux du M7.

Pensé comme un « catalyseur de créativité », le M7 est une véritable pépinière de projets. La jeunesse qatarie est chaleureusement conviée à prendre part à des ateliers et workshops, à repenser les industries créatives dédiées notamment à la mode, au design et aux nouvelles technologies. Les questions – très tendances – du « woman gaze », de la représentativité mais également de la durabilité écologique, y sont centrales. Ces réflexions menées à l’échelle micro et macro en disent long sur le positionnement de l’Émirat, qui propose une offre culturelle très marketée. Il réinvente l’approche muséale, la propulsant dans un univers technologique, ludique, interactif et grand public.

Vue de l’exposition « Figures of speech » consacrée à Virgil Abloh à la Fire Station. Courtesy : Qatar Museums, The Gymnastics Art Institute & Virgil Abloh Art Studio and Design Practice ©️ 2021.

Autre lieu de résidence et d’exposition de la capitale, la Fire Station, où une banderole géante dévoilant les mots en blanc sur fond noir, « Virgil Abloh was there », rend un ultime hommage au créateur de génie disparu en 2021. Signe de l’attractivité de Doha, c’est précisément ici, dans cette caserne de pompiers réhabilitée, qu’Abloh avait inauguré l’une de ses dernières expositions « Figures of Speech », une rétrospective qui couvrait 20 ans de création. Une plongée à travers les coulisses, les prototypes, des collections de sneakers originales, des extraits de documents administratifs… Ce formidable dialogue entre les influences, brouillant les frontières entre les disciplines, débouche sur une critique acerbe du tout-marketing, de la culture pub et se joue des codes et des langages : tout n’est que figures de style, rien n’est exactement ce qu’il semble être.

Installation On Silence de Kader Attia au Mathaf, Doha. Courtesy : Qatar Museums

À l’issue de ce parcours, il serait trompeur de croire que le Qatar ne propose que de l’art blockbuster pour le grand public. Pensée comme un tout, la programmation de Qatar Museums fait le choix de sélections plus pointues et exigeantes, notamment au Mathaf, comme le rappelle sa nouvelle directrice, la Libanaise Zeina Arida. Le musée d’art moderne de Doha abrite en effet une exposition majeure de Kader Attia, curatée par Abdellah Karroum, où l’on redécouvre entre autres les installations The Object’s Interlacing (2020) et On Silence (2021). Il est curieux de voir le public qatari bouche bée devant l’émotion que suscitent, si loin de leurs habituels terrains de débats, ces oeuvres aux thématiques postcoloniales. Peut-être le signe tangible que Doha, avec cet agenda artistique ambitieux et sa programmation subtile, entre art pointu et grand public, s’assied à la table des grands acteurs de l’art contemporain. Une destination bientôt incontournable.

Houda Outarahout

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