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Badr El Hammami ou la résistible disparition de la mémoire

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Badr El Hammami poursuit un projet entamé à Marseille autour de la mémoire des objets en lien avec la culture amazighe. À travers ses dispositifs visuels, il interroge la question des transmissions.

Il y a vingt ans, Badr El Hammami débutait le projet Côte à côte à l’invitation de L’appartement 22 à Rabat. Des marchands ambulants, souvent originaires d’Afrique de l’Ouest, posaient devant son objectif en exhibant un objet qui leur était cher. Des objets-souvenirs ou objets-affects, comme les définit l’artiste, qui racontent à travers leurs possesseurs une histoire intime. Une seconde photo montrait ensuite les marchands posant avec la photographie initiale. À travers ce simple dispositif, une durée s’inscrit dans l’image, une frontière – thème cher à l’artiste – s’établit entre deux prises de vue : « Cela laisse un temps suspendu, deux instants semblent alors se figer », commente-t-il. En 2020, Badr El Hammami entame à Marseille le projet Entre nos mains qui prolonge l’expérience précédente, cette fois-ci en lien avec la culture amazighe. « Ce qui m’intéresse, explique-t-il, ce n’est pas l’objet, mais l’histoire de l’objet. » Là encore, un même dispositif photographique de mise en abyme reproduit à l’intérieur du cadre la photo de l’objet choisi avec son propriétaire. S’ajoute aussi le tracé, sur une carte géographique, du trajet suivi par ces objets, de Tizi Ouzou ou Bizerte jusqu’à Marseille : des constellations qui ne sont pas sans rappeler celles dessinées par Bouchra Khalili pour reproduire les déplacements migratoires.

Badr El Hammami, Entre nos mains, 2021-2022, Résidence de recherches, Marseille, Marrakech, Bruxelles. Objets souvenirs, objets d'affections, récit, transmission, rencontres. Courtesy de l’artiste

Passé en résidence au MACAAL recemment, Badr El Hammami s’entretient longuement avec des mères de la médina que la Fondation Dar Bellarj associe à différents projets culturels. Aux photographies d’objets s’ajoutent celles de lieux tels que le Musée Majorelle ou la Place Jamaâ El Fna, mais ici c’est un polaroïd qui vient redoubler l’image. L’idée serait à terme de reproduire ces mises en abyme sous forme de cartes postales « et de les introduire dans le marché de la carte postale ». En filigrane, on entend aussi une critique de « cette fièvre acheteuse qui domine aujourd’hui ». Sur l’une de ces photos, un objet choisi par Othmane, étudiant à l’ESAV de Marrakech, attire notre attention. Désigné par le nom de tanast, ce simple récipient en cuivre percé en son centre est depuis longtemps utilisé comme horloge à eau pour répartir les durées d’irrigation. Sa disparition programmée raconterait une autre histoire : celle de la disparition de l’eau et des oasis. N’y aura-t-il un jour plus de mémoire à transmettre ? La question semble tarauder l’artiste qui poursuit aujourd’hui son projet au Moussem de Bruxelles, en s’attachant à sauver quelques traces de nos expériences encore partagées.

Olivier Rachet

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