Taper pour chercher

Blockchain, une révolution pour le marché de l’art ?

Partager

Stéphane Brabant, avocat associé chez Herbert Smith Freehills à Paris, prône le recours à la blockchain pour garantir l’authentification et la traçabilité des œuvres d’art. Il y voit surtout une réponse aux problèmes de droits d’auteurs dans les pays où le droit de suite n’est pas garanti.

Depuis quelques années, tous les regards se portent sur la technologie blockchain. Cet outil sous forme de vastes bases de données alimentées par ses utilisateurs a longtemps été prisé du monde de la finance. Sans intermédiaire, elle abritait des transactions en crypto-monnaies. « La blockchain, c’est l’internet de la valeur, expliquait la chercheuse Primavera de Filippi en 2016. Quand on échange de l’argent sur internet, on est obligé de passer par un intermediaire comme une banque ou paypal. La blockchain permet d’échanger de la valeur entre pairs de façon décentralisée et sécurisée sans passer par aucun intermédiaire ». Comme « un cadastre incorruptible » qui stocke et transmet l’information, la blockchain a progressivement dépassé le seul cercle de la finance pour intéresser le monde de l’art qui y voit un outil infalsifiable d’authentification ou de traçabilité de l’œuvre. 75% des maisons de vente aux enchères et 20% des galeries prévoient de mettre en place la blockchain dans les cinq prochaines années, selon une étude de The European Fine Art Foundation et de l’Université de Maastricht. Si elle ouvre des perspectives d’acquisitions et d’investissement nouveau, elle suscite aussi des interrogations. Éléments de réponses avec Stéphane Brabant, associé du cabinet d’avocats Herbert Smith Freehills.

Stéphane Brabant, avocat associé chez Herbert Smith Freehills à Paris prône le recours à la technologie blockchain dans le milieu de l'art.

Vous appelez à s’intéresser à la technologie blockchain pour remédier aux problèmes de protection des droits d’auteur des artistes. Pourquoi?

Cette technologie pourrait répondre aux problématiques liées à la propriété, la provenance et l’authenticité des œuvres d’art par sa capacité à stocker toutes sortes d’informations (auteur, prix, historique d’expositions et de ventes passées, etc.). Grâce au système de sécurité cryptographique, ces informations inscrites sur la blockchain seraient infalsifiables après leur validation. Les artistes et l’ensemble des acteurs du marché de l’art auraient à gagner à ce surplus de transparence, de traçabilité et de fiabilité des informations concernant les œuvres d’art.

 

 En quoi la blockchain pourrait-elle garantir les droits d’auteur des artistes africains, par exemple?

Le droit de suite est le droit inaliénable des artistes et de ses ayants cause à percevoir un pourcentage du prix de vente d’une œuvre d’art lorsque celle-ci est revendue. Consacré par la Convention de Berne, le droit de suite est subordonné à une condition de réciprocité : un artiste n’en bénéficie que si ce droit est reconnu à la fois dans son pays de nationalité et dans le pays où son œuvre est revendue. En Afrique, seuls une dizaine de pays reconnaissent le droit de suite des artistes : l’Algérie, le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, Madagascar, le Mali et le Sénégal, selon la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (Adagp). Avec la blockchain, les artistes ressortissants de tels pays pourraient être informés chaque fois que leur œuvre est revendue dans des salles de vente ou à l’étranger, ce qui devrait renforcer l’exercice effectif de leur droit de suite.

 

Mais comment la blockchain peut-elle renforcer ce droit de suite lorsque le cadre législatif ne contraint pas à le garantir?

En l’absence de tout droit de suite, rien n’empêche l’artiste et l’acquéreur de convenir par contrat des modalités ayant un effet équivalent. Ils peuvent notamment stipuler une obligation de paiement, à la charge de l’acquéreur, d’un pourcentage de la plus-value enregistrée à l’occasion de toute cession future de l’œuvre d’art, cette obligation étant transmissible de plein droit à ses héritiers et ayants cause. Dans ce cas, la blockchain pourrait automatiser le paiement de ces droits à travers l’application du smart contract, un programme informatique permettant l’exécution automatique de clauses contractuelles sous certaines conditions convenues par avance. L’artiste serait alors automatiquement rémunéré lors des reventes de ses œuvres et profiterait ainsi de la valorisation de celles-ci sur le marché de l’art.

 

La blockchain efface les intermédiaires. A termes les maisons de vente aux enchères, elles-mêmes intermédiaires, ne risquent-elles pas de disparaître?

Je ne pense pas que la blockchain constitue une menace pour les maisons de vente aux enchères. Au contraire, la blockchain pourrait répondre à certaines de leurs préoccupations liées à la propriété, la provenance et l’authenticité des œuvres d’art. Les professionnels du marché de l’art pourraient appuyer leurs services d’expertise et d’estimation et augmenter ainsi leurs ventes. En ce sens, Christie’s, la première maison de vente aux enchères dans le monde, a récemment utilisé la blockchain à l’occasion de la vente de la collection privée « An American Place: The Barney A. Ebsworth Collection » en novembre 2018. Les ventes enregistrées via la plateforme blockchain Artory ont atteint la somme record de 317,8 millions de dollars. Je suis certain que d’autres maisons de ventes aux enchères et galeries d’art mettront en œuvre la blockchain dans les prochaines années à venir.

 

 En juillet 2018, la plateforme blockchain Maecenas a vendu des participations représentant 31,5 % de l’œuvre d’Andy Warhol « 14 Small Electric Chairs » pour une valeur totale de 5,6 million de dollars. La blockchain révolutionne-t-elle le marché de l’art?

La blockchain présente en effet de nouvelles opportunités d’investissement dans le marché de l’art. Un artiste pourrait céder des participations dans son œuvre d’art sur une plateforme blockchain, où les investisseurs seraient libres d’acheter et vendre ces participations auprès d’autres investisseurs. Cela est particulièrement intéressant pour les artistes en recherche de financement, mais aussi pour ceux ressortissants d’États où le droit de suite n’est pas reconnu par la législation nationale. À défaut de toucher une rémunération lors de la revente de son œuvre d’art, l’artiste pourrait vendre une partie de ses participations et rester copropriétaire de celle-ci en vue de profiter de sa valorisation à long terme.

Stéphane Brabant tient à remercier Julia Caudal pour ses précieuses recherches et assistance dans la préparation de cette entrevue.

Propos recueillis par Emmanuelle Outtier

Tags:

Vous pouvez aimer aussi

Laisser un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *

x
seisme maroc

La rédaction de diptyk se joint aux nombreuses voix endolories pour présenter toutes ses condoléances aux familles des victimes du séisme qui a frappé notre pays.

Nos pensées les accompagnent dans cette terrible épreuve.

Comme tout geste compte, voici une sélection d'associations ou d'initiatives auxquelles vous pouvez apporter votre soutien :