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[Books and days] mounir fatmi, des Ready Made aux Ready Dead

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Se plonger dans 180 °Behind Me, le catalogue de l’exposition de mounir fatmi au Konsthall de Göteborg (Suède, 2018), c’est mesurer toute la cohérence et la radicalité esthétique de son parcours. Se dessine tout d’abord l’intérêt du plasticien pour des médiums aussi divers que les vieilles cassettes VHS ou les machines à écrire, autant d’objets obsolètes qui constituent pour lui une « archéologie des matériaux  » : des « ready dead », comme il le souligne avec humour, en référence aux ready made de Duchamp. En ouverture du catalogue, la galeriste Sabrina Amrani observe justement que ces objets – câbles, fils connecteurs, outils de construction, morceaux de métal – « sont aussi symboliquement agressifs ». À l’image de l’installation Everything Behind Me 01 composée d’une immense table noire sur laquelle trônent, dans un enchevêtrement absolu, des centaines de mètres de câbles comme autant de viscères technologiques d’une ère révolue.

La violence est aussi chez fatmi à chercher du côté du langage et des limites qu’on lui oppose. « Je sais bien que j’injecte parfois des images dans un système qui n’en veut pas et que cela a des conséquences. » De nombreuses œuvres comme la performance Le Paradoxe, intègrent dans leur dispositif des éléments textuels coraniques littéralement greffés à des éléments techniques hétérogènes. Opération qui n’est pas sans évoquer ce que le philosophe Bernard Stiegler désigne par le terme de « bifurcations », comme autant de ruptures poétiques ou esthétiques dans notre régime de post-vérité.

mounir fatmi, Vision périphérique, 2017, Impressions de pigments noirs et blancs sur une toile, 70 x 105 cm. Göteborgs Konsthall, Göteborg, 2018. Avec la permission de l’artiste et de la galerie Art Front.

Dans 180 °Behind Me, on comprend aussi que fatmi fait de l’accident l’un de ses moteurs de création : « À vrai dire, écrit-il, je considère mes œuvres comme autant d’échecs permanents. […] Mes œuvres d’art sont des pièges esthétiques. » Se pose alors la question du statut ambigu, paradoxal de l’œuvre d’art. Regarder une œuvre relève aujourd’hui de la gageure, semble nous confesser l’artiste. Tout au plus peut-on percevoir une infime partie de ce qui nous est montré, comme dans la série photographique Vision périphérique où l’artiste se cache derrière un rapporteur d’angle circulaire blanc. La question serait alors de savoir quels seraient les angles morts de toute proposition visuelle, autrement dit quelles seraient les « carences du langage esthétique ». In fine, mounir fatmi ne nous invite-t-il pas à approcher, moins l’invisible, que l’impensé d’un monde agonisant progressivement sous une virtualité et une obsolescence grandissantes ? L’artiste aime citer cette phrase du philosophe Wittgenstein : « Les limites de ma langue – et aimerions-nous ajouter, de toute œuvre d’art – sont les limites de mon monde. »

Mounir Fatmi, 180 ° Behind Me, SF Publishing & Göteborgs Kunsthall

Olivier Rachet

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