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[Hommage] Christo, l’artiste de l’impossible

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L’artiste américain d’origine bulgare est décédé le 31 mai à l’âge de 84 ans. Il laisse le monde de l’art orphelin, lui dont les oeuvres monumentales, temporaires et rares affolaient connaisseurs et amateurs. Parmi ses faits d’armes : le Pont-Neuf ou le Reichstag empaquetés avec la complicité de sa femme et alter-ego, Jeanne-Claude. 

Nous l’avions rencontré à Marrakech l’an dernier où étaient présentées au Musée Yves Saint Laurent des oeuvres inédites. Nous y avions découvert une autre facette de ce personnage facétieux qui, dans les années 1960, avait fait une rapide incursion dans le monde de la mode pour mieux en casser les codes avec ses « robes-sculptures » qui empaquetaient les femmes. En hommage, nous republions ce papier paru dans le numéro 49.

Photo Wolfgang Volz, © 1985 Christo

« Est-ce un grand artiste, un fou ou un plaisantin ? » C’est sur cette interrogation à choix multiples que s’ouvre le très bon documentaire d’Anastas Petkov dédié à Christo et Jeanne-Claude, dans l’auditorium feutré du musée Yves Saint Laurent Marrakech. Évidemment, la réponse est dans la question. Christo est un peu tout cela à la fois, et lors de sa première venue au Maroc le 22 mars 2019, cet octogénaire facétieux a pris un malin plaisir à brouiller les pistes. Un peu à l’image de son œuvre, inclassable. « Quand j’étais en Bulgarie, j’étudiais à l’Académie des beaux-arts qui était faite sur le modèle du XIXe siècle en Allemagne. Au bout de huit ans, on devait choisir entre la peinture, la sculpture, les arts décoratifs… Comme je me suis échappé vers l’Ouest lors de ma 4e année, je n’ai toujours pas décidé ce que je suis. »

Christo est l’artiste de l’impossible, celui qui dépasse toutes les limites. Bien avant d’empaqueter des monuments à travers le monde, ou d’installer des œuvres éphémères (il préfère dire « temporaires ») dans la nature, comme en Australie ou au Japon, il fait ses premiers essais sur des objets du quotidien à New York, lorsqu’il s’y installe en 1964 avec son épouse Jeanne-Claude, son binôme indispensable, née à Casablanca. À l’époque, il fréquente le groupe des Nouveaux réalistes et collabore avec le photographe publicitaire Charles Wilp qui immortalise ses empaquetages de femmes et ses « robes-sculptures », révélées au Musée Yves Saint Laurent pour la première fois. « Peu de monde connaît cette période de mon travail. Il reste peu d’œuvres originales, surtout des photos, des films et des documents inédits, qu’on retrouve dans l’ouvrage édité par Gallimard. »

Wedding Dress - white fabric, satin and silver ropes, 1967, collage, crayon, craie grasse, peinture émail et morceaux de papier imprimé découpés sur carton, 56 × 71 cm

Ces années d’expérimentation sont fondatrices chez Christo car elles voient apparaître son matériau de prédilection : la toile. « Le tissu est comme une seconde peau. » Une affirmation que n’aurait pas reniée Yves Saint Laurent, connu pour ses tombés impeccables. Dans ses dessins faits de collages de photos de mode et de craie grasse rehaussés à la peinture émail, Christo transforme le corps de la femme en forme organique, entre chenille et papillon. Tout comme elle révélera plus tard l’architecture sous un autre jour dans son travail, la toile vient ici « simplifier ou accentuer certaines formes », et plutôt que d’entraver, « les cordes bougent avec le mouvement du corps ». Brisant les codes de la mode, déjà extrêmement novatrice dans les années 60, Christo vient chambouler la grand-messe qu’est le défilé. Sa Wedding Dress (1967), seule réalisation exposée au Musée Yves Saint Laurent, fait de cette robe rituelle hautement symbolique une zone de combat, où la femme vêtue d’un short comme un soldat, entre fourmi et esclave, tire une masse énorme et informe harnachée par des cordes à sa traîne.

Evening Dress - white satin and silk ropes, Afternoon Suit - yellow beige velvet and silk ropes, 1967, collage, crayon, craie grasse, peinture émail et morceaux de papier imprimé découpés sur carton, 56 × 71 cm

« Tireeeeeez ! », c’est justement le mot que hurle Christo dans toutes les langues lors de ses projets d’installation monumentale à travers le monde, au moment fatidique où l’équipe doit déployer des kilomètres carrés de toile dans l’espace, une sorte de « lever de rideau » où la magie opère enfin. « En 50 ans de carrière avec Jeanne-Claude, sur 70 projets, nous n’en avons réalisé que 23 », précise-t-il. Des projets qui n’ont jamais remporté l’adhésion générale dès le début. « J’ai un plaisir instable à faire cela, c’est quelque chose d’irrationnel, comme faire l’amour. » À presque 84 ans, Christo aurait-il envie d’investir bientôt le Maroc ? « Ce n’est pas impossible ! », répond-il malicieusement. Pour l’instant, c’est son fameux Mastaba, en gestation depuis 1972 et déjà présenté sous d’autres formes notamment à Londres, qui est sur le point d’aboutir à Abu Dhabi. « Le projet est très avancé. Ce sera une sculpture énorme, plus grande que la pyramide de Khéops, qui sera placée dans un espace que nous avons choisi, dans l’un des plus beaux désert au monde, qui s’appelle The Empty Quarter, à la frontière entre les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, où le Cheikh Zayed est né. Si cette sculpture se fait, cela prendra trois ans de réalisation. Mais ce sera aussi 16 km de paysage qui seront transformés, et ça c’est encore en discussion. » À cœur vaillant..

Marie Moignard

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