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CONVERSATION AVEC YMANE FAKHIR

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Ymane Fakhir, de l'intime à l'universel

 

Ymane Fakhir a grandi à Casablanca où elle a étudié à l’Ecole des Beaux Arts. Après diverses expériences professionnelles, elle part en France et reprend ses études à l’Ecole des Beaux Arts d’Aix-en-Provence. S’ensuivent un échange à l’Ecole Nationale de la photographie d’Arles, une installation à Marseille et le développement d’une œuvre photographique et vidéo, tissée par son histoire personnelle et sa culture d’origine. D’une cohérence affirmée, le travail d’Ymane Fakhir se décline en un corpus d’images à la fois rigoureuses et délicates interrogeant les rites et coutumes d’une société en pleine mutation.

 

Tu es photographe et vidéaste. Pourquoi ce choix de l’image par-dessus tout ?

 

J’ai commencé à travailler la photographie et la vidéo presque en même temps, mais ce n’est qu’en 2012 que j’ai montré mon premier travail vidéo : « Handmade ». Au Maroc, les femmes contaient des histoires inventées ou relataient des évènements vécus dans leurs entourages. Ces histoires occupaient mon imaginaire et je ne cessais d’imaginer les lieux, les personnages qui se surimposaient les uns aux autres. Cela peut paraître idéaliste mais tout comme les musiciens, j’aime penser que l’image peut être vue comme une forme de langage universel. Dans mes recherches, je témoigne de la permanence de phénomènes sociaux et anthropologiques anciens dans un Maroc en pleine mutation. Le sociologue américain Douglas Harper explique que « le chercheur prend les photos afin d'étudier le monde social ». C’est ainsi que j’envisage mon travail.

 

Les sujets que tu abordes dans ta pratique entretiennent un lien très fort avec la culture marocaine, et notamment avec la cérémonie du mariage, qu’il s’agisse de ta dernière série photographique « Socle », de « Le trousseau », ou de celle intitulée « Le bouquet ». Qu’est-ce qui te fascine dans cette institution ?

 

Il ne s’agit pas d’une fascination particulière. À travers mon travail je cherche à questionner les rites et les coutumes. Dans le cas de « Le trousseau », il s’agit surtout d’une dimension autobiographique. J’ai photographié mon propre trousseau, constitué par ma mère au fil des années : serviette, bijoux précieux et de pacotilles, objets décoratifs, chemises de nuit et pantoufles, parures de lit, vaisselles, etc. Tous ces objets renvoient à la maison telle qu'elle a traditionnellement été tenue par les femmes, alors même que leur accumulation forme un univers clos que la jeune mariée sera condamnée non seulement à habiter, mais à perpétuer. Je fais en sorte que l'aspect dit « clinique » de l'oeuvre n'élague pas les émotions liées à la démarche. Je témoigne ainsi d’un rituel social ancien voué à la disparition car la femme que je suis devenue a choisi un autre chemin.

 

Tu procèdes presque toujours à une décontextualisation du sujet, souvent traité en série, de façon neutre, voire aseptisée. S’agit-il d’une tentative d’universalisation ?

 

Oui, j’utilise souvent la même technique de prise de vue : fond blanc, lumière naturelle, gros plan. En détournant les objets de leurs quotidiens et de leurs fonctionnalités, j’offre une lecture qui nous met face à un familier plutôt étrange et qui n’a plus les mêmes repères. La neutralité met la lumière sur l’essentiel, un objet plastique, sculptural, qui n’a d’autre utilité que d’être. Cette universalité fait perdre à l’objet sa provenance, et permet ainsi plusieurs interprétations.

 

Tu as été dernièrement confrontée à l’environnement de l’hôpital de la Timone à Marseille, dans le cadre d’une résidence de huit mois pour un Atelier de l’Euroméditerranée de Marseille, Capitale Européenne de la Culture. Peux-tu nous en dire plus ?

 

J’ai en effet eu l’occasion de participer à une programmation organisée par l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille. Des passerelles existaient entre mon travail et le monde hospitalier : la croisée des sphères privés et publiques ainsi que la démarche clinique et la répétition des rituels. Chacune des vidéos est née d’une rencontre, d’un témoignage ou d’une anecdote. L’écoute a été primordiale pour établir un lien avec le personnel. Le temps était parfois très long sans que rien, apparemment, ne se passe mais cette étape était importante pour le personnel et pour la construction de mon travail. Ce projet qui s’intitule « Taking Care » est une réflexion sur le rituel du soin. Je suis particulièrement intéressée par la définition de Joan Tronto pour qui le « care » (la « sollicitude » et/ou le « soin »), est une « activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre « monde ».

 

Propos recueillis par Bérénice Saliou

 

Ymane Fakhir est représentée par la Galerie of Marseille. Son travail est visible jusqu’au 31 mars 2013 au sein de l’exposition « Ici, Ailleurs » à la Friche La Belle de Mai à Marseille.

« Taking care », Atelier de l'EuroMéditerranée Marseille-Provence 2013, Nouvelles Donnes Productions, L'APHM Marseille.

Abdelkrim Ouazzani, « Poumon de la terre », 2016
Abdelkrim Ouazzani, « Poumon de la terre », 2016
(À gauche) Centaure, 2017, encre de chine et poudre noire sur papier, 200 x 150 cm // (À droite) Force noire, 2017, monotype sur papier, 84 x 59 cm
(À gauche) Centaure, 2017, encre de chine et poudre noire sur papier, 200 x 150 cm // (À droite) Force noire, 2017, monotype sur papier, 84 x 59 cm
Youssef Lahrichi, Le Nostalgique, 2014 (Maroc)
Youssef Lahrichi, Le Nostalgique, 2014 (Maroc)
vernissage de l’exposition le 12 novembre à la galerie Tindouf
vernissage de l’exposition le 12 novembre à la galerie Tindouf
Hernan Bas, Mood ring, 2016, acrylique et émail sur lin, 152,4 × 121,9 cm Courtesy de l’artiste et Fredric Snitzer Gallery
Hernan Bas, Mood ring, 2016, acrylique et émail sur lin, 152,4 × 121,9 cm Courtesy de l’artiste et Fredric Snitzer Gallery
William Kentridge, Second-Hand Reading, 2013, vidéo
William Kentridge, Second-Hand Reading, 2013, vidéo
Touria El Glaoui © Victoria Birkinshaw
Touria El Glaoui © Victoria Birkinshaw
Farid Belkahia, Couple, 1957, feutre sur papier, 25 x 10 cm Collection privée
Farid Belkahia, Couple, 1957, feutre sur papier, 25 x 10 cm Collection privée
Second lieu d'exposition de la programmation le Palais Badii
Second lieu d'exposition de la programmation le Palais Badii
A three-person game, 2018, installation Courtesy de l’artiste et CM Galerie Photo © Alexandre Colliex
A three-person game, 2018, installation Courtesy de l’artiste et CM Galerie Photo © Alexandre Colliex
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seisme maroc

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