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[Books] « Déborder la négritude » ou l’émergence d’une modernité artistique au Sénégal

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Depuis les années 1950, Dakar est le cœur battant de la réflexion artistique sur l’art moderne et contemporain en Afrique. La revue Présence africaine, publiée dès 1947 conjointement à Paris et Dakar, contribua à populariser le concept de négritude forgé par Aimé Césaire pour tenter de définir une culture de « l’homme noir » niée par des siècles de colonisation et d’esclavage. Concept qui fut contesté dans les années 1990 avec la naissance de la Biennale de Dakar qui prit alors le parti de la contemporanéité de l’art.

Dakar, berceau de l’art contemporain africain ? En 2017, se tenait à l’Institut National d’Histoire de l’Art à Paris un colloque international intitulé  « Dakar : scènes, acteurs et décors artistiques. Reconfigurations locales et globales ? » L’ouvrage Déborder la négritude a été conçu dans le prolongement de cette manifestation et dans le sillage des études postcoloniales. On y interroge, à travers différentes contributions et entretiens, les conditions d’émergence d’une modernité artistique au Sénégal.

Tout débute sans doute par la figure centrale de Léopold Sédar Senghor et la naissance de l’École dite de Dakar. En tant que poète et homme d’État, Senghor réussit à la fois à redorer le blason de l’art africain, aussi bien traditionnel que moderne, et à promouvoir conjointement une politique publique ambitieuse. Coline Desportes revient par exemple sur l’exposition de Picasso à Dakar organisée en 1972, à l’occasion de laquelle Senghor sut montrer le tribut que l’Europe devait à l’art africain. « Dès 1966, [Senghor] considère la rencontre de Picasso et des artistes modernes tels que Rimbaud avec l’art ‘nègre’ comme la source unique de la modernité, qu’il lie à l’abandon de l’imitation de la nature », écrit l’historienne de l’art. De son côté, Giulia Paoleti rappelle qu’en tant que président, Senghor eut à cœur de parrainer le premier Festival mondial des arts nègres et qu’il « inaugura le Musée dynamique ainsi que l’École des arts à Dakar. »

L’ouvrage interroge ce lourd héritage et s’intéresse à l’émergence de la notion problématique d’art contemporain sur un continent cherchant à s’affranchir de la tutelle occidentale. La Biennale de Dakar fondée dans les années 1990, dans le sillage du Laboratoire Agit’Art qui s’était alors opposé avec virulence à l’académisme de l’École de Dakar, est au cœur de la réflexion. El Hadji Malick Ndiaye rappelle qu’il s’est d’abord agi d’une initiative locale de la société civile sénégalaise pour contrer la promotion par Senghor d’un art de la négritude.

Désapprendre l’Afrique

Mais sans doute est-ce Simon Njami qui laissera durablement sa patte sur une manifestation ayant réussi le subtil alliage de s’adresser à un public international tout en promouvant les initiatives locales : « Il est urgent de désapprendre l’Afrique. De la reconstruire avec des outils neufs, explique le curateur. Et ces outils-là ne peuvent être que ceux de la contemporanéité ». Une approche défendue par des artistes tels que El Hadji Sy, Soly Cissé ou Diadji Diop dont des entretiens passionnants sont publiés en fin d’ouvrage. Où l’on voit que la défiance à l’égard d’une politique étatique rejoint surtout la volonté de défendre une approche plurielle de la diversité créatrice du continent africain. On pourrait conclure avec cette affirmation de Simon Njami : « La contemporanéité définit un espace fluide et indéfinissable. Un territoire infini ».

Olivier Rachet

Déborder la négritude – Arts, politique et société à Dakar, sous la direction de Mamadou Diouf et Maureen Murphy, éditions Les presses du réel, p.256, septembre 2020
Visuel en couverture de l’article : Cheikh Ndiaye, Cinéma ABC (détail), Dakar, 2015
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