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D’UN NAUFRAGE À L’AUTRE

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Deux siècles après la réalisation du Radeau de la Méduse, l’exposition collective «Mare Nostrum» ouvre un dialogue avec l’œuvre iconique de Géricault. Une façon artistique et militante d’évoquer le drame des migrants en Méditerranée. 

 

Olivier Rachet 

 

 

La date n’a pas été choisie au hasard. « Mare Nostrum », du nom que les Romains employaient pour désigner la Méditerranée, coïncidera avec la Conférence intergouvernementale sur les migrations et la 11e édition du Forum mondial sur la migration et le développement, qui ont lieu en décembre à Marrakech. « La Méditerranée est devenue un bain de sang, un véritable champ de guerre », s’insurge Simohammed Fettaka, originaire de Tanger, qui évoque ses compatriotes risquant leur vie sur des pateras de fortune. Hicham Daoudi évoque lui aussi à demi-mot la disparition d’un ami de la famille : « Sa mort m’a donné envie de proposer à des artistes de parler de cette angoisse du départ et de ces tragédies désormais quotidiennes. » 

La référence au Radeau de la Méduse, l’œuvre iconique de Géricault qui avait fait scandale en 1819 parce qu’elle évo- quait un naufrage et des scènes de cannibalisme, défrayant la chronique de l’époque, est au centre de l’exposition. Se confronter à une œuvre aux dimensions aussi gigantesques que Le Radeau de la Méduse, c’est le défi que relève Mariam Abouzid Souali, dont la toile Mare Nostrum constitue l’un des moments forts de l’exposition (lire p.68). La peintre revendique une composition plus chaotique et encombrée, dans laquelle le radeau est remplacé par une chaloupe à l’aspect rouillé où elle met en scène des corps de migrants en provenance de Syrie ou d’Afrique subsaharienne. You- ness Atbane et Simohammed Fettaka proposent deux ins- tallations évoquant le caractère tragique du naufrage. « Je viens du monde de la chorégraphie, précise le premier. Le corps reste une dominante de mon travail. » C’est en étudiant le plan du radeau et l’architecture pyramidale du tableau, qui lui rappelle le toit d’une maison, que Youness Atbane a l’idée de sa proposition. Une trentaine de corps anonymes, la tête posée sur la coque d’un bateau, dessine l’image d’un mausolée, à la mémoire de tous les disparus. Simo- hammed Fettaka s’intéresse à la question des frontières en reproduisant une large carte de la Méditerranée investie par des dizaines de figurines représentant des soldats en embuscade, peints en bleu pour mieux se camoufler. 

 

MON PAYS EST UNE VALISE

Alors que Mustapha Akrim interpelle les puissants à travers une installation se référant à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme relative à la liberté de mouvement, Hassan Bourkia convoque des écrivains qui lui sont chers, tels Edmond Amran El Maleh, Stefan Zweig ou Mahmoud Darwich, dont le destin a partie liée avec l’exil. Sans doute est-ce en écho à la citation du poète palestinien, « Ma patrie est une valise », que le peintre marocain a conçu une installation constituée de cages ouvertes remplies de 

valises, qui seront autant de « traces laissées par les nau- fragés, les exilés et les migrants, comme autant d’objets qui ont une mémoire, mais qui n’ont plus de langue ».
Khalil Nemmaoui note que les sources lumineuses du Radeau de la Méduse constituent presque « des erreurs techniques », mais qu’au final, le peintre a travaillé comme le ferait un photographe, en recherchant des angles appro- priés et en soignant sa composition. Les deux photos pré- sentées au Comptoir des Mines – l’une montrant une cha- loupe de pêcheur démembrée, l’autre des personnages à taille quasi humaine dans un espace désertique – rappellent les couleurs chaudes et crépusculaires du tableau originel. D’un naufrage l’autre. 

 

«Mare Nostrum», Comptoir des Mines, Marrakech, du 8 décembre 2018 au 15 février 2019.

 

Safaa Erruas in her former studio, Tetouan, 2016. Photo by Tina Barouti
Safaa Erruas in her former studio, Tetouan, 2016. Photo by Tina Barouti

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