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El Anatsui triomphe à Doha

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Curatée par Okwui Enwezor et Chika Okele-Agulu, l’exposition «El Anatsui. Triumphant Scale» réunit au Mathaf de Doha des archives, des œuvres anciennes et d’autres spécialement conçues pour l’occasion. Une rétrospective qui éclaire l’origine et la constance de l’œuvre de l’artiste ghanéen, probablement le plus emblématique du continent.

Les atouts avec lesquels nous naissons ne nous sont pas toujours intelligibles. Nous n’avons pas les armes pour déchiffrer l’indéchiffrable. Et c’est le chemin que nous suivons qui nous éclaire sur celui qu’il nous reste à parcourir. Chez El Anatsui, on pourrait distinguer trois ou quatre étapes dans cette quête du sens. La première est Anyako au Ghana, où il naît en 1944. Le centre tellurique de l’âme du sculpteur. Son père est un tisserand. Il n’oubliera pas ce métier, qui mêle les couleurs et les matières. Puis vient le temps de l’école, qui constitue une rupture, même si le collège et le lycée ne laisseront aucun souvenir à l’artiste à venir. On a peine à croire qu’un système scolaire rompant avec les habitudes familiales, pendant la période de la colonisation anglaise (qui ne prendra fin que le 6 mars 1957), n’ait pas eu plus d’effet sur l’enfant. Il n’est pas à douter, au contraire, que cette période a laissé des traces qui remonteront plus tard à la surface, dans l’affirmation forte d’une identité revendiquée. Il y a, dès lors, l’Histoire, celle qu’on lui enseigne à l’école, et les histoires, celles que son père et ceux de son village, les chefs, ont commencé à lui transmettre.

Puis vient le temps de l’université. Autre rupture. Autres initiations. Autres collages. Des études d’art, une spécialisation en sculpture. Après l’obtention de ses diplômes, El Anatsui devient professeur et connaît son premier choc esthétique conscient sur les marchés, où les femmes disposent leurs marchandises sur des plateaux en bois ciselés et décorés à l’aide d’une technique de pyrogravure. Une découverte qui d’emblée remet en cause les fondements d’une formation académique détachée du réel. Ainsi, la vérité s’était-elle toujours trouvée sous ses yeux, mais il fallait la maturité de voir.

El Anatsui, Black Block, 2010, aluminium et fil de cuivre. Collection du Brooklyn Museum © El Anatsui

En 1975, El Anatsui est engagé à l’université de Nsukka, au Nigeria. Il découvre les monolithes Akwanshi dans la cour du Musée national de Lagos, les terres cuites nok et, pour finir, la peinture corporelle igbo, connue sous le nom de uli. La dernière étape de cette longue quête, de cette recherche d’un langage parfaitement adapté, aura lieu en 1980 aux États-Unis, à Cummington, Massachusetts, avec la découverte des ressources esthétiques de la tronçonneuse. C’est lesté de tous ces éléments, de toutes ces découvertes, de toutes ces aventures, ces voyages sur lesquels il n’est pas utile de revenir, qu’El Anatsui pourra enfin se dire qu’il a grandi. Comme un enfant à la recherche de son vocabulaire, il a accompli le voyage qui le mène à la pleine maturité. Il a trente-six ans. Il peut désormais commencer à remplir ces trous qui émaillaient son parchemin. Il peut désormais commencer à questionner l’Afrique, à l’écrire, plastiquement, telle qu’il la ressent et qu’il l’a vécue : une histoire à nulle autre pareille qui apportera sa contribution au grand livre de l’humanité.

Simon Njami

Retrouvez l’intégralité de ce portrait dans le numéro 51 de diptyk à paraître le 15 décembre.

El Anatsui, Gravity and Grace, 2010, aluminium et fil de cuivre. © El Anatsui. Courtesy de l’artiste et Jack Shainman Gallery, New York
El Anatsui, Invitation to History, 1995, bois et détrempe. © El Anatsui. Courtesy de l’artiste et Jack Shainman Gallery, New York
El Anatsui, Tiled Flower Garden, 2012, aluminium et fil de cuivre. © El Anatsui. Courtesy de l’artiste et Jack Shainman Gallery, New York
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