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FARID ZAHI : « LES PEINTRES VOYAGEURS ORIENTALISTES ONT PARTICIPE A FAIRE NAITRE L’ART PLASTIQUE AU MAROC. »

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Dans l’exposition « Itinérance – Le Maroc vu par les peintres orientalistes », le Musée de Bank Al-Maghrib propose un voyage inédit à travers les chefs-d’œuvre orientalistes de sa collection. Son commissaire Farid Zahi nous guide dans ce parcours qui jette des ponts vers l’art moderne et contemporain.

 

 

Propos recueillis par Meryem Sebti

 

Le Musée de Bank Al-Maghrib présente une partie de sa collection de peinture et choisit de mettre en lumière les œuvres orientalistes. Que trouve-t-on dans cette exposition ?

Cette exposition, la première de son genre au Maroc, est une invitation à repenser notre rapport à cette peinture et réévaluer ses représentations de notre histoire pré-moderne et moderne. Un musée est la mémoire sédentaire des œuvres. Son existence n’est légitimée que par la monstration de ce qui fait son être. Les expositions permanentes du Musée de Bank Al-Maghrib dévoilent une partie des richesses de ce musée, richesses qui ne cessent de s’étendre à de nouveaux artistes et à de nouvelles expressions artistiques. L’année dernière une exposition sur les artistes matiéristes intitulée « Eloge de la matière » a montré des pièces que beaucoup d’amateurs ont estimé singulières. Cette année l’exposition « Itinérances », consacrée aux peintures orientalistes de la collection, est venue poser cette double question : quelle place peut avoir l’art orientaliste dans une collection dédiée exclusivement à l’art moderne et contemporain marocain ? Et quelles nouvelles interprétations pouvons-nous en faire aujourd’hui ?

En plus de la vingtaine d’œuvres orientalistes exposées en permanence, « Itinérances » présente une cinquantaine d’œuvres qui regroupe quelques noms des plus marquants de la fin du xixeet du xxesiècles : José Navarro Lloréns, Lord Edwin Weeks, Benjamin Constant, Jean-François Portales, Albert Marquet, Henri-Émilien Rousseau (1875-1933), Étienne Dinet, Lucien Lévy-Dhurmer, Majorelle, Henri Pontoy… Ces artistes et bien d’autres ont brossé des scènes et des portraits qui ont capté des éléments de notre histoire et de notre quotidien.

 

Montrer des œuvres orientalistes au Maroc pose des enjeux différents qu’une exposition faite à l’étranger. Ici, si l’on parvient à évacuer la question du fantasme sur l'Orient, les œuvres participent à combler des lacunes sur notre histoire : la grande et la petite…

Si l’on a pour longtemps conçu l’orientalisme comme un mouvement artistique occidental, il l’est certes plus par l’origine de ses artistes que par la nature du regard, les sujets traités et surtout par les effets engendrés ! Il suffit à cet égard d’évoquer Paul Klee pour se rendre à l’évidence que c’est le plus occidental et le plus oriental des orientalistes. Sa peinture compte plus pour les artistes arabes modernes que pour leurs homologues occidentaux. Belkahia dans les années 60, comme Etel Adnan dans les années 2000, en parlent comme un maître à penser, une référence inéluctable ! Par ailleurs, nous avons dans l’histoire de la peinture arabe des artistes plus orientalistes qu’un Etienne Dinet ou un Majorelle. Le fantasme de la beauté féminine orientale n’est pas le propre de cet art. Il suffit à cet égard de faire un tour dans le musée de l’Egyptien Mahmoud Said (1888-1999) pour admirer ses nus encore plus érotiques que n’importe quelle peinture d’atelier d’Ingres. Le peintre arabe (comme les orientalistes du début du xxesiècle) a simplement changé de référence corporelle ! On doit aussi à ces peintres voyageurs la naissance de l’art plastique au Maroc comme au Maghreb. E. Dinet avait initié Mohammed Rassim à l’art de peindre en Algérie. Ben Ali Rbati, Yakoubi, Ben Allal doivent leur engagement dans le domaine de l’art à des artistes installés au Maroc.

Pour des raisons purement pédagogiques, l’exposition « Itinérances » a été organisée de façon thématique. On peut ainsi la parcourir suivant le rythme du voyageur peintre : paysages naturels et citadins, espaces publics (souks, fondouks, jardins…), espaces intérieurs, portraits, scènes de genre et métiers. Ce parcours permet de donner une vue mobile des impressions picturales de ces peintres, dont plusieurs d’entre eux ont séjourné pour longtemps au Maroc (notamment Pontoy, Majorelle et Eddy Legrand).

 

Il est vrai que les œuvres orientalistes sont très demandées sur le marché, notamment au Moyen-Orient : pourquoi d'après vous ?

Effectivement, tout grand collectionneur qatari ou arabe se doit de posséder des œuvres majeures de l’orientalisme. Les raisons en sont principalement politiques et « stratégiques ». Ces pays émergents ont une certaine obsession des grandeurs. Posséder une collection orientaliste est un signe de prestige et crée une image de marque. Ce n’est pas pour rien qu’on réinvente le Louvre à Abu Dhabi et que le seul musée orientaliste du monde arabe se trouve à Doha ! Par ailleurs, ces pays « émergents » sur la scène politique et économique arabe ont ce désir de déplacer la notion de l’Orient (qui s’étendait du Maghreb à Oman en passant par la Mésopotamie) vers la péninsule arabe et ainsi faire revivre cette idée de l’Arabie. La notion même de désert obéit à cette volonté. Le grand désert africain ne signifie rien dans ce sens malgré sa superficie et ses belles dunes comparées au désert rocheux, blanc et poussiéreux de l’Arabie ! Un Emirati peut se reconnaitre facilement, par une logique de la ressemblance, dans les paysages et les bâtisses et les images que nous ont laissé les peintres voyageurs orientalistes.

 

Dans les œuvres montrées ici, certaines, au-delà de leur appartenance à l'orientalisme, rendent compte des grands courants picturaux à l'œuvre aux xixeet xxesiècles (Fauves, Cubisme, etc.). Pouvez-vous en évoquer certaines ?

L’orientalisme pictural, rappelons-le, n’est pas un mouvement plastique proprement dit. C’est plutôt une tendance « transhistorique ». Si quelques uns de ces peintres demeurent cantonnés dans un classicisme nostalgique, d’autres en revanche s’inscrivent pleinement dans les mouvements et les mutations esthétiques de leur temps. L’exposition en montre quelques exemples significatifs. Des peintures de Marcelle Ackein, Majorelle, Henri Pontoy et Eddy-Legrand, à titre d’exemple, révèlent ces « styles » impressionniste, fauve ou cubiste. Le regard orientaliste s’en trouve ainsi métamorphosé. Il se décale radicalement du fantasmatique et du réalisme pour nous offrir des œuvres qui réinventent le sujet peint et l’inscrivent dans une nouvelle esthétique, celle justement qui sera développée par la peinture moderne au Maroc.    

 

« Itinérances – Le Maroc vu par les peintres orientalistes », Musée de Bank Al-Maghrib, Rabat

Commissaire : Farid Zahi

jusqu’au 15 novembre 2014

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