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Faut-il sauver la sculpture africaine ?

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Au Burkina Faso, la première Biennale internationale de la sculpture de Ouagadougou (BISO) s’est tenue du 8 octobre au 15 novembre. Objectif affiché: redonner toute sa splendeur à un art emblématique du continent africain, aujourd’hui marginalisé par le marché de l’art.

Une biennale de la sculpture à Ouagadougou ? Les avis se partagent entre étonnement et scepticisme. Personne n’a oublié que le pays de Sankara est en proie depuis 2015 à des attaques terroristes qui endeuillent régulièrement le Nord. Au Maroc, Ouagadougou résonne comme un cri de douleur : le souvenir de Leila Alaoui, victime de l’attentat de janvier 2016, reste vivace dans les mémoires. Alors, une biennale ? « C’est la meilleure façon de résister ! », répond tout de go Soly Cissé. L’artiste sénégalais que l’on retrouve de Paris à Ségou, à tous les grands rendez-vous de l’art, a répondu présent à cette première Biennale internationale de la sculpture de Ouagadougou (BISO) initiée en octobre par le photographe Nyaba Léon Ouédraogo et le directeur des ventes africaines chez PIASA, Christophe Person. Il n’est d’ailleurs pas le seul à avoir accepté de faire partie du jury : Abdoulaye Konaté, Barthélémy Toguo et la collectionneuse Gervanne Leridon lui ont emboîté le pas. Parce qu’une urgence peut en cacher une autre : « Nous avons de moins en moins de sculpteurs, s’alarme Soly Cissé. Je fais partie du comité d’orientation de la Biennale de Dakar : sur la soixantaine de participants sélectionnés cette année, nous avons deux ou trois sculpteurs seulement » (depuis la sélection a été enrichie, ndlr). Son ami Siriki Ky, figure de la scène burkinabé et président d’honneur de cette première édition, confirme le verdict : « Les jeunes artistes délaissent la sculpture au profit de la peinture, qui se vend plus facilement. La tendance se confirme d’ailleurs au niveau des galeries, qui exposent plus de peinture que de sculpture contemporaine.»

Issiaka Savadogo, L'envol, fer et bois, 2019. Courtesy de l'artiste.

Une plateforme pour les sculpteurs

C’est sans doute là tout l’enjeu de cette petite biennale – 15 artistes sélectionnés –, dernière-née des rendez-vous qui émergent sur le continent. Pour Nyaba Léon Ouédraogo et Christophe Person, l’ambition est avant tout de créer « une plateforme pour valoriser le travail de ces sculpteurs africains contemporains ». Parrainée par des artistes comme Cissé, Toguo, Konaté, qui incarnent un modèle de réussite africaine, elle crée du réseau, voire une famille pour certains. « Cela permet de rencontrer des artistes qui motivent pour continuer et chasser le doute, confie Beau Disundi, pour qui BISO est la première participation à une biennale. Ce n’est pas facile de se lancer dans une carrière d’artiste. Il y a le poids de la société, et la sculpture, en RDC, est par exemple moins valorisée que la musique. »

Les 15 jours de résidence qui ont précédé la biennale ont tissé des liens et offert du temps pour expérimenter les techniques locales. L’artiste nigériane Adejoke Tugbiyele s’est frottée pour la première fois au travail du bronze, un savoir-faire burkinabé par excellence. « C’est un nouveau champ d’investigation qui s’ouvre à moi, s’amuse-t-elle. C’est une matière encore mystérieuse. Un sculpteur ne peut vraiment savoir ce que le matériau signifie pour lui qu’après l’avoir éprouvé six ou sept fois. » Un coup d’essai pourtant fructueux, puisqu’elle est repartie avec le grand prix de la biennale (partagé avec Beya Gille Gacha). Adejoke Tugbiyele façonne habituellement de gracieuses sculptures à partir de balais traditionnels en feuilles de palmier. « Le balai, que ce soit en Afrique du Sud, dans la culture Yoruba au Nigeria ou au Swaziland, a toujours eu une symbolique de purification, de nettoyage spirituel. » Évoquant la sphère domestique à laquelle sont souvent cantonnées les femmes, il permet ici de déconstruire la question du genre qui parcourt la réflexion d’Adejoke Tugbiyele. « Le message est que nous pouvons être à la fois féminins et masculins. Nous pouvons être hybrides. » À Ouaga, sa sculpture revêt aussi une dimension politique inattendue : en 2014, sous l’impulsion du mouvement « Balai citoyen », les Burkinabés défilaient dans les rues pour chasser le président Blaise Compaoré au pouvoir depuis 27 ans. Leur mantra : nettoyer le pays de la corruption.

Adejoke Tugbiyele, Ange, 2019, balais traditionnels en feuilles de palmier. Courtesy de l'artiste

Se réapproprier le patrimoine africain

Impossible sans doute d’échapper au politique, a fortiori lorsque la restitution des œuvres d’art africaines a été évoquée pour la première fois par Emmanuel Macron à Ouagadougou. BISO n’y coupe pas. Thiémoko Diarra brûle, transperce, rafistole, enrubanne de pansements ensanglantés des reproductions de statues Fang. Refermer la plaie, vraiment ? Quelque chose de monstrueux se dégage de ses fétiches colmatés, à l’image peut-être de notre appréhension de l’identité qui a longtemps servi un discours ethnographique mâtiné d’idéologie raciste. Moins frontal, Le retour de la muse endormie (référence assumée à Brancusi et Man Ray) de Dimitri Fagbohoun interroge le legs de l’Afrique dans l’art occidental, tandis que Issiaka Savadogo désarticule à l’aide d’engrenages métalliques une statuette rituelle. L’heure est à la réappropriation.

Cette première édition confirme aussi la prégnance de matériaux recyclés dans la sculpture contemporaine africaine : Precy Numbi réalise une performance, caparaçonné d’un exosquelette de 20 kilos tout en rebuts électroniques, tandis que Ghizlane Sahli et Mamadou Ballo usent de bouteilles en plastiques pour créer formes organiques alvéolées ou personnages hypersexués. Plus loin, Achille Adonon coud sous forme de bas-relief des chaussures glanées ici et là, évocation pudique des enfants de rue de son Cotonou natal. « La sculpture est une performance, remarque malicieusement Adejoke Tugbiyele. Les matériaux changent, se modernisent et révèlent ce qui est compris de l’Afrique d’aujourd’hui. » Une profonde conscience des enjeux politiques à venir, sans aucun doute.

Emmanuelle Outtier

Achille Adonon, oeuvre in situ, 2019. Courtesy de l'artiste
Ghizlane Sahli, Sans titre, fil de soie, plastique, fil d'or, 2019
Beya Gille Gacha, ORANT #5, 2019, béton, perles, bois. Courtesy de l'artiste
Thiémoko Diarra, Lost Power Relics 02, 2019, bandage, pansement et peinture à l'huile. Courtesy de l'artiste
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