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La chronique de Bruno Nassim Aboudrar : Femmes abstraites, femmes soustraites

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Actuellement au musée Marmottan à Paris, l’exposition «L’Orient des peintres, du rêve à la lumière» fait l’impasse sur certains orientalistes modernes comme Bernard Boutet de Monvel. Loin des odalisques lascives, la représentation de la femme marocaine a amené ce peintre français à expérimenter l’abstraction, dépouillant par là même ses modèles de toute humanité.

L’exposition « L’Orient des peintres, du rêve à la lumière » se propose de montrer en une soixantaine de tableaux comment, à un fantasme construit autour de la figure de l’odalisque (la belle Arabe, voilée dehors, en déshabillé dans l’intimité du harem, nue au bain maure ou exposée à l’éventaire des marchands d’esclaves), s’est progressivement substituée une réflexion picturale plus formaliste, fondée sur le paysage, qui traite de couleurs, de valeurs, de volumes et d’aplats et mène, à terme, à l’abstraction. Ainsi peut-on lire sur le site du musée, en conclusion du pitch de l’exposition : « La nais- sance de l’abstraction ainsi passe par l’Orient : l’exposition sera alors l’occasion de découvrir certains aspects moins connus de l’art moderne à sa naissance. » Et, sur une des cimaises : « L’épuration progressive du motif et de la palette conduit les artistes voyageurs à une sobriété inédite dans la composition de paysages […]. Pour ces artistes, l’Orient est moins une réserve de motifs pittoresques que l’occasion de réfléchir à la couleur et à la composition, en créant des harmonies qui respectent la surface du tableau. » Chatoyantes, comme celles de Delacroix, de Chassériau, de Kandinsky, ou sobres comme celles d’Ingres, de Fromentin, de Marquet – et souvent sobres et chatoyantes à la fois –, les œuvres présentées sont, dans l’ensemble, de grande qualité.

 

Édouard Debat-Ponsan, Le massage, scène de hammam, 1883, huile sur toile, 127 x 210 cm Toulouse, Musée des Augustins © Daniel Martin

Mais, curieusement, manquent à l’exposition les œuvres qui auraient pu étayer son propos de la manière la plus convaincante, c’est-à-dire celles où la série Femmes et la série Paysages se croisent dans une visée d’épure effectivement moderniste en relation avec l’abstraction. C’est le cas, notamment, des tableaux marocains de Bernard Boutet de Monvel. Cette absence a probablement une cause matérielle, conjoncturelle ; elle n’en contribue pas moins à occulter la condition idéologique – culturelle, politique – de ce qui est présenté comme une recherche artistique purement formelle, condition que la présence de ces tableaux n’aurait pas permis d’ignorer. Restituons donc ce « chaînon manquant », qui tout en complétant la démonstration proposée par l’exposition, révèle ses non-dits. Quand il arrive au Maroc, en 1917, Bernard Boutet de Monvel n’est pas seulement un aviateur intrépide, blessé et médaillé de guerre, il est également un peintre mondain dont les portraits clairs et élégants ont gagné les faveurs du tout-Paris qui fréquente les champs de course et le polo de Bagatelle. Pendant la guerre, il a pratiquement cessé de peindre ; c’est Lyautey en personne qui persuade le convalescent de se remettre à son art. Après la guerre, Boutet de Monvel reprend sa carrière fashionable au point où il l’avait abandonnée : entre les États-Unis et la France, se succèdent les portraits chics et conventionnels d’aristocrates, de magnats de l’industrie et de la finance et de femmes du monde.

Bernard Boutet de Monvel, Femmes sur la terrasse, huile sur toile, 73 x 60 cm © Sotheby’s

Au regard de son œuvre passée et future, la période marocaine, que l’artiste lui-même jugeait comme sa meilleure, est une parenthèse. Au Maroc, l’artiste renonce à sa palette émaillée, aux couleurs vives, froides, un peu aigres parfois, au profit de camaïeux chaulés, apposant des aplats de blancs grisés, ocrés ou bleutés. De l’architecture vernaculaire, il retient la structure cubique – et non la stéréotomie géniale, les arcatures outrepassées ou le système décoratif, trop pittoresques, sans doute (il est proche, en cela, d’architectes comme Auguste Cadet et Edmond Brion qui construisent au Maroc dans ces mêmes années). Aux femmes, voilées du haïk blanc, il réserve le même traitement. Il les représente sur le toit de leur maison, volumes géométriques opaques d’un blanc crayeux strié de noir pour exprimer les plis du drapé.

Bernard Boutet de Monvel, Femmes sur les terrasses, Rabat, huile sur toile 92 x 92 cm Collection particulière

Par Bruno Nassim Aboudrar

Retrouvez l’intégralité de cette chronique dans le numéro 49 de diptyk disponible en kiosque ou en ligne.

«L’Orient des peintres, du rêve à la lumière», Musée Marmottan Monet, Paris, jusqu’au 21 juillet 2019.

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