Taper pour chercher

[Game changer] Duro Olowu, la culture du style

Partager

Il habille Michelle Obama et curate les expositions des plus prestigieux musées, pourtant c’est en toute simplicité qu’il nous répond au téléphone. Refusant de se laisser cataloguer et de cataloguer les autres, le créateur britannique d’origine jamaïco-nigériane conjugue art et mode avec éclectisme, instinct et humilité.

Mêlant l’élégance « rive gauche » aux couleurs vibrantes de son Nigeria natal, Duro Olowu a développé un style audacieux qui défie les tendances et les frontières. Jamais ethnique, il puise pourtant dans la palette chromatique de son héritage jamaïco-nigérian pour créer de toutes pièces des motifs contemporains, versatiles et urbains. Rien n’est jamais littéral chez Olowu qui préfère donner à penser plutôt que de dicter aux femmes quoi porter. Pour lui qui n’a pas fait d’école de mode et a commencé sa carrière en tant qu’avocat, c’est son enfance à Lagos, cosmopolite et effervescente dans les années 1970, qui a « transcendé [sa] vision du monde » et lui a apporté beaucoup de liberté.

Entré dans la mode à la fin des années 1990, il attendra 2004 pour lancer son propre label : « Je suis heureux d’avoir mis du temps à devenir créateur, ça a forgé mon regard. Aujourd’hui, je ne me dis jamais que quelque chose est impossible, que tel tissu ne va pas avec tel motif, ou que telle coupe ne va pas à telle personne. Je veux juste faire en sorte que les femmes se sentent à l’aise, fortes et assertives. Elles jonglent avec tellement de choses, elles portent réellement le ciel ». Avec des références d’artistes et militantes comme Miriam Makeba, Nina Simone et Amrita Sher-Gil, pas étonnant qu’il habille aujourd’hui Michelle Obama, Uma Thurman ou encore Solange Knowles.

Courtesy : Duro Olowu. Photo © Uzoamaka Maduka

La mode comme un art

Car du film noir japonais aux carnets de voyage de Françoise Gilot, artiste et muse de Picasso, Olowu trouve dans l’art une source d’inspiration infinie pour la création de ses tissus, lorsqu’il ne chine pas des étoffes vintage précieuses. Nostalgique, il regrette justement le temps où l’art et la mode étaient essentiellement liés, à l’heure où l’aspect mercantile de l’industrie a pris le dessus. Il ne parle d’ailleurs pas de mode mais de « culture du style ». Duro Olowu va même jusqu’à dire que son geste créatif est politique en espérant « qu’il puisse être représenté par quelque chose de fort et de durable», à l’instar de sa robe taille empire, « la Duro », inspirée du XIXe siècle et rehaussée d’imprimés chamarrés. Imaginée en 2005, sa création signature est entrée dans l’histoire de la mode contemporaine. Encensée par Vogue US et UK, elle lui a même valu le titre de «designer de l’année» par le British Fashion Council.

C’est probablement là son plus beau tour de force : être reconnu et célébré par l’Occident, tout en revendiquant son héritage mais sans jamais se compromettre ni s’auto-exotiser. Pour lui, « l’Occident a encore du mal à voir quelqu’un qui vient d’Afrique comme une personne qui peut avoir une vision du monde éclectique et pointue, tout en portant sa propre culture ». Il cite El Anatsui ou Lynette Yiadom-Boakye comme « des citoyens du monde qui savent d’où ils viennent ». Et d’ajouter: « Dans un marché surexposé où l’on essaie de devenir célèbre du jour au lendemain, soumis à la pression des galeries et aux prix de l’art contemporain, il est très délicat pour un artiste d’origine africaine de ne pas tomber dans le piège de la facilité ».

Vue de l’exposition « Duro Olowu : Seeing Chicago », 2020. Photo © Kendall McCaugherty.

Le Maroc inchallah

Alors de créateur à curateur, Duro Olowu franchit le pas instinctivement en 2012 avec l’exposition « Material » à la galerie Salon 94 à New York qui connaît une suite en 2014 avec « More Material». En 2016, il est commissaire de l’exposition «Making and Unmaking » au Camden Arts Center à Londres : «Lorsque je curate une exposition, je ne divise jamais l’art, jamais ! Je n’ai jamais séparé la photo de la sculpture, ni l’abstrait du figuratif. De la même façon je n’ai jamais classifié l’art fait par des femmes, des Africains, des Européens ou des musulmans. C’est pour ça que je pense que mes expositions ont autant de succès, parce qu’on y trouve littéralement du Magritte à côté de Chris Ofili ou Michael Armitage.»

Cette année, il est le premier curateur externe à se voir attribuer une carte blanche au Musée d’art contemporain de Chicago avec l’exposition «Seeing Chicago», rétrospective de plus de 350 œuvres de collections publiques et privées. Désormais membre du conseil d’administration de la Royal Academy of Arts, Olowu a définitivement gagné ses lettres de noblesse dans le monde de l’art. Une opportunité pour décloisonner encore davantage ses univers et sa créativité.

Vue de l’exposition « Duro Olowu : Seeing Chicago », 2020. Photo © Kendall McCaugherty.

Quand on lui souhaite d’organiser une exposition en Afrique, il répond amusé mais sérieux « inchallah », en plaçant le Maroc – qu’il connaît depuis les années 1980– et le Sénégal en tête des pays qui servent d’exemple au continent. S’il déplore l’état des institutions culturelles d’Afrique de l’Ouest et regrette des modèles de philanthropie dépassés qui ne servent ni à l’achat ni à la conservation d’œuvres, il estime avec optimisme que tout bonne entreprise mérite un beau combat. Et c’est cette résilience qui fait probablement de lui l’un des créateurs les plus inspirants de sa génération.

Chama Tahiri

Tags:

Vous pouvez aimer aussi

Laisser un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *

x
seisme maroc

La rédaction de diptyk se joint aux nombreuses voix endolories pour présenter toutes ses condoléances aux familles des victimes du séisme qui a frappé notre pays.

Nos pensées les accompagnent dans cette terrible épreuve.

Comme tout geste compte, voici une sélection d'associations ou d'initiatives auxquelles vous pouvez apporter votre soutien :