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Hicham Berrada nommé pour le prix Marcel Duchamp 2020

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Hicham Berrada vient d’être nommé pour le prix Marcel Duchamp 2020, aux cotés d’Alice Anderson,  Kapwani Kiwanga et Enrique Ramirez.  Ce prix, qui a déjà distingué des artistes comme Kader Attia, Latifa Echakhch ou Melik Ohanian, récompense chaque année depuis 20 ans un artiste de la scène hexagonale (qu’il soit Français ou résident en France). Les 4 plasticiens en lice exposeront au Centre Pompidou à l’automne prochain. En attendant l’annonce du lauréat le 19 octobre, nous republions une analyse signée Mouna Mekouar dans le numéro 35 (octobre-novembre 2016). Pour mieux comprendre la démarche de Hicham Berrada qui interroge avec beaucoup de poésie la part de contingence dans l’oeuvre d’art. 

Nulle part ni jamais la forme n’est résultat acquis, parachèvement, conclusion. Il faut l’envisager comme une genèse, un mouvement. » Hicham Berrada semble avoir fait sienne cette leçon de Paul Klee (in Théorie de l’art moderne, 1977) car ce qu’il donne à voir, ce n’est jamais une forme achevée, c’est un processus en formation. Il s’efforce de montrer la forme comme l’aboutissement provisoire d’un vaste et lent processus. « J’agis comme un régisseur d’énergies ; je choisis un protocole et quand l’œuvre est prête, je me place en spectateur. Au moment de l’enclenchement, je ne suis plus dans le faire », expliquait-il au Quotidien de l’art en 2013 (n°349). Rendre à l’œuvre son statut de forme en devenir, de ligne créatrice potentiellement ouverte à de nouvelles ramifications, tel est le but de Hicham Berrada.

Pour ce faire, il réunit des données chimiques, physiques ou mécaniques pour enclencher des processus qui échappent en partie à son contrôle créant des œuvres parfois invisibles ou latentes. Il invite par exemple avec L’Arche de Miller (2012) à faire l’expérience d’une présence inédite des énergies et des forces émanant de la matière. Avec 20 litres d’eau stérilisée, des bases puriques, des sucres, de la chaleur et du mouvement, l’artiste crée, à l’intérieur d’un vaste aquarium, les conditions nécessaires à l’apparition des premières formes de vie. « Aux commencements, il y avait une masse d’eau mouvante subissant l’action du chaud et du froid. Il y avait dedans des nucléotides. De cet ensemble de molécules, la vie est apparue sans qu’on puisse se l’expliquer », nous expliquait l’artiste (in Palais #17, fév.-mai 2013). Véritable tranche de nature, l’œuvre qui imite au plus près les processus naturels et conditions climatiques nécessaires à sa réalisation, invite à découvrir, dans un paysage presque vierge, une infinité figée, un monde en attente d’existence.

Hicham Berrada, Les oiseaux, 2014, vidéo HD, 3,59''. Courtesy de l'artiste et CulturesInterfaces.

Un monde en attente d’existence

Dans le même esprit, la performance Natural process activation#2 (2011) consiste à déverser dans un champ de la poudre de fer et de l’acide, soit les composantes nécessaires à la possible formation, dans 25 000 ans, d’une grotte de cristaux. « Cette œuvre échappe à l’échelle humaine du temps, précise Hicham Berrada. La vérification de l’expérience ne pourra se faire que dans des milliers d’années. Cela nous rappelle que la nature fonctionne sans l’homme. C’est aussi une pièce sur la contingence : ce qui apparaîtra sera peut-être différent de ce qui est actuellement. » (op.cit.) Son travail transporte ainsi le visiteur dans un ailleurs, un monde à la fois vivant et inerte, proposant de réfléchir simultanément aux notions de nature, de création et de temps.

En effet, Hicham Berrada met en scène les changements et métamorphoses d’une nature activée chimiquement ou mécaniquement. Du laboratoire à l’atelier, de l’expérience chimique à la performance, l’artiste crée un univers personnel, lié à la pratique expérimentale, jouant de ses codes et protocoles. Avec Présage (2016), l’artiste fait émerger un monde chimérique qui ne cesse de se métamorphoser en associant à l’intérieur d’un bocal des liquides, des cristaux et des matières organiques dont il a le secret. Ces paysages éphémères, qui mélangent végétal et minéral, sont conçus comme des créations picturales. « J’essaye de maîtriser les phénomènes que je mobilise comme un peintre maîtrise ses pigments et pinceaux. Mes pinceaux et pigments seraient le chaud, le froid, le magnétisme, la lumière », dit-il. Pour autant, Présage ne procède pas d’une seule et unique expérience car l’artiste ne cesse d’explorer ce matériau sans limites en proposant, à chaque fois, de nouvelles combinaisons. En laissant son œuvre ouverte, l’artiste dynamise la série Présage en démultipliant les visions et les interprétations. D’une part, les réactions chimiques produisent des mondes en constante mutation qui jouent du réel et de l’imaginaire mais aussi des échelles, entre microcosme et macrocosme. D’autre part, ces transformations de la matière aux couleurs et aux formes fascinantes sont aussi filmées et simultanément projetées à l’écran lors de performances développées avec Laurent Durupt. Compositeur et musicien, ce dernier accompagne ce processus – selon une démarche analogue à celle de Hicham Berrada –  en captant et en modifiant des sons provenant de la nature. En déployant des paysages sonores et visuels lors de ces performances, la métamorphose est doublement effective, invitant désormais chaque spectateur à flotter à la surface d’un rêve. Avec cette esthétique du fragment qui se décline en tranches, vidéos et performances, Présage souligne la constante recherche de l’artiste pour une forme en devenir au-delà même de sa propre fin. En effet, chaque aquarium, chaque projection ou chaque performance de cette série est comme un miroir reflétant une matière qui se transmute pour devenir œuvre d’art.

Hicham Berrada, présage, 2016, tirage sur papier Canson premium photo Lustre, 310g. Courtesy de l'artiste et CulturesInterfaces.

Un possible recommencement

De fait, la création de Hicham Berrada, qui s’articule en travaux successifs se fécondant les uns les autres, invite à un voyage poétique dans le temps et dans l’espace, entraînant le visiteur dans des régions inconnues où nature, matière et création se répondent. Il prolonge ses recherches en créant sur papier, à partir de ces mêmes substances et matières, des morceaux de paysages. Par capillarité, différentes solutions chimiques où sont plongées les feuilles de papier y dessinent progressivement des lignes dont les arborescences rappellent certaines paésines ou agathes. Ainsi les lignes et les brisures qui traversent la feuille de papier, la position des stries et l’agencement aléatoire des couleurs invitent-ils à redécouvrir le monde minéral qu’elles évoquent. Par analogie, cet ensemble, manifeste une affinité ou une connivence avec les royaumes souterrains célébrés par Roger Caillois dans l’Écriture des Pierres (1966) : « Je parle des pierres nues, fascination et gloire, où se dissimule et en même temps se livre un mystère plus lent, plus vaste et plus grave que le destin d’une espèce passagère ». C’est avec la même passion que Hicham Berrada aborde ce domaine offrant une nouvelle image de ces univers secrets. Ces chromophotographies, libres évocations de ce monde minéral, sont elles-mêmes le résultat de réactions chimiques émanant des produits de la terre. Ainsi, ces dessins empruntent une trajectoire qui semble porter en elle un possible recommencement.

Ainsi, l’artiste envisage-t-il son travail comme une intervention et une succession de choix portant sur des données physiques ou chimiques. En témoigne Azur, suite de toiles baignées de cobalt qui explore le changement d’état de ce minerai. Envahi par la chaleur, le cobalt se transforme en matière vibrante. Dans ce moment de métamorphose picturale, d’un état de la matière vers un autre, un ciel pur et grand s’élève progressivement à la surface de la toile. Or, ce paysage aérien s’envole ou se fixe au gré de la température. Chaud, l’azur se répand. Froid, il se dissout légèrement. De l’azur à la lumière, cette partition, qui se déploie de tableau en tableau, évoque le mouvement éphémère et fugitif de l’étendue. Cette rêverie azurée réunit donc le minerai à la lumière, la terre au ciel. Substance terrestre, le minerai devient, ici, un astre inversé. « Une lumière de la terre ». Cette correspondance n’est pourtant pas symbolique ; elle témoigne de la richesse de ce monde enfoui dans le secret de la terre, de ce « travail énergique des dures matières » qui s’anime, selon Gaston Bachelard, de « beautés promises » (in La terre et les rêveries de la volonté, 1948).

L’artiste prolonge cette unité mystérieuse de la matière au ciel dans la vidéo Céleste (2014). Une dense fumée bleue constituée de minerais raffinés s’envole, se glisse, se fond dans un ciel gris. La lumière se corporise. Le ciel se colore. Se dessine progressivement un paysage de ciel bleu. Dans l’épaisseur de ce paysage aérien – foyer minéral – Hicham Berrada nous offre « le repos d’imaginer » un nouvel azur. À travers cette écriture céleste, l’artiste invite l’imagination humaine à se déployer ; une imagination qui doit désormais placer les structures du monde naturel au cœur de son questionnement. Selon ce processus, il enrichit et complète des situations qui se présentent dans sa trajectoire. Dans la grande tradition des peintres qui furent pensionnaires à la Villa Médicis, Hicham Berrada reprend le célèbre point de vue du Piazzale afin de décrire selon un plan fixe le

Hicham Berrada, Paysage, 2016, produits chimiques sur plaque chromatographique. Courtesy de l'artiste et CultureInterfaces.

Un possible recommencement

De fait, la création de Hicham Berrada, qui s’articule en travaux successifs se fécondant les uns les autres, invite à un voyage poétique dans le temps et dans l’espace, entraînant le visiteur dans des régions inconnues où nature, matière et création se répondent. Il prolonge ses recherches en créant sur papier, à partir de ces mêmes substances et matières, des morceaux de paysages. Par capillarité, différentes solutions chimiques où sont plongées les feuilles de papier y dessinent progressivement des lignes dont les arborescences rappellent certaines paésines ou agathes. Ainsi les lignes et les brisures qui traversent la feuille de papier, la position des stries et l’agencement aléatoire des couleurs invitent-ils à redécouvrir le monde minéral qu’elles évoquent. Par analogie, cet ensemble, manifeste une affinité ou une connivence avec les royaumes souterrains célébrés par Roger Caillois dans l’Écriture des Pierres (1966) : « Je parle des pierres nues, fascination et gloire, où se dissimule et en même temps se livre un mystère plus lent, plus vaste et plus grave que le destin d’une espèce passagère ». C’est avec la même passion que Hicham Berrada aborde ce domaine offrant une nouvelle image de ces univers secrets. Ces chromophotographies, libres évocations de ce monde minéral, sont elles-mêmes le résultat de réactions chimiques émanant des produits de la terre. Ainsi, ces dessins empruntent une trajectoire qui semble porter en elle un possible recommencement.

Ainsi, l’artiste envisage-t-il son travail comme une intervention et une succession de choix portant sur des données physiques ou chimiques. En témoigne Azur, suite de toiles baignées de cobalt qui explore le changement d’état de ce minerai. Envahi par la chaleur, le cobalt se transforme en matière vibrante. Dans ce moment de métamorphose picturale, d’un état de la matière vers un autre, un ciel pur et grand s’élève progressivement à la surface de la toile. Or, ce paysage aérien s’envole ou se fixe au gré de la température. Chaud, l’azur se répand. Froid, il se dissout légèrement. De l’azur à la lumière, cette partition, qui se déploie de tableau en tableau, évoque le mouvement éphémère et fugitif de l’étendue. Cette rêverie azurée réunit donc le minerai à la lumière, la terre au ciel. Substance terrestre, le minerai devient, ici, un astre inversé. « Une lumière de la terre ». Cette correspondance n’est pourtant pas symbolique ; elle témoigne de la richesse de ce monde enfoui dans le secret de la terre, de ce « travail énergique des dures matières » qui s’anime, selon Gaston Bachelard, de « beautés promises » (in La terre et les rêveries de la volonté, 1948).

L’artiste prolonge cette unité mystérieuse de la matière au ciel dans la vidéo Céleste (2014). Une dense fumée bleue constituée de minerais raffinés s’envole, se glisse, se fond dans un ciel gris. La lumière se corporise. Le ciel se colore. Se dessine progressivement un paysage de ciel bleu. Dans l’épaisseur de ce paysage aérien – foyer minéral – Hicham Berrada nous offre « le repos d’imaginer » un nouvel azur. À travers cette écriture céleste, l’artiste invite l’imagination humaine à se déployer ; une imagination qui doit désormais placer les structures du monde naturel au cœur de son questionnement. Selon ce processus, il enrichit et complète des situations qui se présentent dans sa trajectoire. Dans la grande tradition des peintres qui furent pensionnaires à la Villa Médicis, Hicham Berrada reprend le célèbre point de vue du Piazzale afin de décrire selon un plan fixe le vol d’oiseaux qui, de façon cordonnée, forment un cercle autour d’une source lumineuse intense mais lointaine. Dans l’immensité de la nuit, ces oiseaux – points lumineux qui s’éloignent dans le ciel – deviennent « un vol, un vol en soi », offrant un spectacle au pouvoir hypnotique agissant sur l’esprit du spectateur qui est désormais invité à voguer dans un tableau féérique.

Hicham Berrada, Mesk-ellil, 2015, ensemble de 7 terrariums en verre teinté, Cestrum nocturnum, éclairages horticoles, éclairages clair de lune, temporisateur. Courtesy de l'artiste et galerie Kamel Mennour, Paris. Photo : Fabrice Seixas.

Une rêverie des essences

Face à ces paysages filmés, Hicham Berrada nous invite, avec Mesk-ellil (2015 – appellation vernaculaire au Maghreb de Cestrum nocturnum), à une rêverie des essences. Il dessine, dans une lumière bleue, un jardin plongé dans le clair-obscur, dans ce moment où la nature s’offre dans la pénombre et dégage en secret ses parfums subtils. Ce théâtre botanique, où se mêle nature et artifice, se déploie un jardin constitué d’allées de Mesk-ellil. Fine et précieuse, cette fleur, étoile à cinq pétales, manifeste le jour sa beauté en blanc. La nuit, dans le bleu du soir, elle s’ouvre, se redresse et diffuse son ester. Sensuelle et douce, piquante et envoûtante, cette odeur qui nous dit des mots exhale toute la nuit durant ses arômes. L’œuvre invite ainsi à emprunter le chemin de ces émanations. Pour y parvenir, l’artiste agit avec poésie sur les paramètres climatiques et le rythme circadien (ensemble des événements biologiques qui surviennent toutes les 24 heures chez les organismes vivants). De jour, l’obscurité tombe artificiellement sur la closerie. De nuit, l’éclairage horticole crée la luminosité nécessaire aux plantes. Véritable fabrique de rêve, cette transfiguration du jour en nuit, cette vie inversée des fleurs, cette profusion de parfums, éveillent sens et affects du visiteur et le transportent dans un ailleurs. La température, le clair et l’obscur, l’azur et la nuit, les images et le souffle des fleurs surgissent et se dérobent, s’effacent et se répandent, offrant au visiteur une expérience inédite. Or, ce script qui croise science et poésie, intuition et connaissance, s’articule autour d’une mécanique temporelle inversée. Irréelle et poétique, cette petite parcelle de monde est un écosystème clos qui transforme l’espace d’exposition en paysage sensoriel.

Mesk-ellil et l’ensemble des œuvres de Hicham Berrada ne sont donc pas une fin en soi, elles sont un moyen, un medium, une ouverture vers un au-delà. Comme il nous le disait en 2013 : « Une forme est toujours en évolution, en mouvement, même si on ne le perçoit pas à notre échelle de temps. Les animaux, dont nous sommes, se situent dans une échelle de temps extrêmement rapide. C’est pourquoi nous croyons que les formes sont figées. La pérennité est une illusion de la perception humaine. Plutôt que la forme, c’est la morphogenèse qui m’intéresse, les règles qui déterminent les formes ».

Mouna Mekouar dans diptyk #35 – octobre novembre 2016. 

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