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Hicham Lasri : Guide de survie en absurdie

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Après Vaudou, Fawda et Tijuana Bible, l’artiste et réalisateur Hicham Lasri sort cette année son quatrième roman graphique, le non moins insolent et inspiré Maʀяoc. Dans ce nouvel opus paru chez Le Fennec, il dépeint le pays imaginaire d’Al Marrouk dont la ressemblance avec un pays déjà existant est tout sauf fortuite.

Dès la couverture, le ton est donné : Hicham Lasri présente Maʀяoc comme un « faux guide touristique à l’usage des étrangers », tout en précisant qu’il est « interdit aux Marocain-e-s ». Découpé en treize chapitres traitant chacun une facette d’Al Marrouk, un pays imaginaire dont on aura compris auquel il fait allusion, ce nouveau roman graphique prolonge les influences revendiquées dans les trois précédents ouvrages de son auteur, notamment les Éditions Lug, certains fumetti et autres comics. Vaudou (Le Fennec, 2016) étant un peu plus narratif – on y suit le parcours d’un personnage de bande dessinée en quête d’un texte à insérer dans son phylactère – et Tijuana Bible (autoédition en ligne, 2017) assez chiche en texte – ce qui n’étonne guère pour une œuvre présentée comme « la première BD pornographique du royaume » ! –, c’est de Fawda (Kulte, 2017) que ce Maʀяoc se rapproche le plus. Il va même jusqu’à lui emprunter des cases présentant Casablanca comme un havre de paix avant qu’un violent coup de téléphone ne vienne troubler cette atmosphère faussement tranquille.

Goldorak go !

C’est à la suite de cette sonnerie qu’intervient le clou de Maʀяoc en la figure de Goldorak, sentinelle surgie de la mosquée Hassan II pour rattraper un bagnard en fuite. Au-delà de la drôle incongruité de la présence de ce personnage japonais dans une bande dessinée marocaine, l’ironie de la situation vient du fait que, dans la série animée originelle, le robot de combat est réemployé pacifiquement contre le système belliqueux qui l’avait créé tandis que dans Maʀяoc il sert au contraire une nation guère recommandable et représentée via cette prétentieuse mosquée par un Hassan II dont Lasri fait régulièrement – dans ses livres comme dans ses films – son plus fidèle bouc émissaire. À l’image du R inversé du titre Maʀяoc, ce renversement sert la force satirique de l’œuvre qui présente un pays retourné contre lui-même, comme en un jeu de miroir aussi déformant que révélateur.

Aux frontières du réel

Sans queue ni tête mais avec beaucoup de tête et moins de queues qu’à l’accoutumée, Maʀяoc convoque diverses formes, textures et couleurs pour les télescoper en un réjouissant maelström d’idées et de sens, en phase avec le désordre social, politique et urbain du monde dépeint. L’absurdité pour dénoncer l’absurdité : cette logique n’étant pas prise en défaut, Lasri se régale à pointer du doigt, avec férocité mais non sans humour, les paradoxes de son pays. La religion, l’éducation, l’hypocrisie sociale et politique, le sexe, les affaires de mœurs… Rien n’échappe à l’artiste qui use de différentes techniques graphiques (peinture, collages, photographies…), de détournements d’images et de divers procédés de cadrage et de montage hérités du cinéma pour bousculer la vision et toucher directement au sensible. À titre d’exemple, une planche montre une femme aux formes avantageuses et dotée d’un cou si long que sa tête se retrouve hors champ, suggérant ainsi une certaine vision des femmes comme objets sexuels dénués d’esprit et dont il est aisé de briser les cous fragiles.

Quelques renvois dans Maʀяoc à ses précédents travaux (la jeune femme déféqueuse d’Android, la guerre Coca/Pepsi de HEAdbANG LULLABY…) confirment la cohérence de l’œuvre globale de Hicham Lasri qui semble avoir trouvé avec ce roman graphique l’affirmation d’un style visuel débridé qui ne pouvait se restreindre aux formes, plus proches du réel, du cinéma et du théâtre. Il devient alors permis de se mettre à rêver, en guise d’apothéose pour cet artiste qui ne cesse d’ajouter des cordes à son arc, à la réalisation d’un film d’animation.

Roland Carrée

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