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Jidar s’encanaille

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D’année en année, le festival de toiles de rue de Rabat se fait moins consensuel et plus subversif. Les grapheurs marocains ont affûté leur technique pour mieux approcher l’essence de cet art underground.

 

Quand l’association EAC-L’Boulvart et la Fondation nationnale des musées lancent à Rabat en mai 2015 la première édition de Jidar (« murs » en arabe), l’ambition de ce festival de « toiles de rue » n’est rien moins que d’« inscrire la capitale dans le circuit international du street art ». Des graffeurs, mais également des artistes plus traditionnels, nationaux et internationaux, sont invités à parsemer les rues de la très sage capitale administrative de peintures murales monumentales. Le succès est franc et immédiat auprès du grand public, autrement dit le passant lambda. La presse nationale s’enthousiasme pour le résultat, aussi décoratif que spectaculaire. Car, il faut bien l’avouer, il ne s’agissait au départ en aucune façon de street art dans son acception première, underground et subversif. Ici, les murs d’immeuble aveugles se parent d’œuvres – pour la plupart figuratives, quelques-unes abstraites, mais raisonnablement graphiques – avec l’autorisation et la bénédiction des autorités de la ville, laquelle prendra en charge et sera le principal commanditaire des éditions suivantes.

Après s’être assurés de la pertinence de l’événement, à travers l’adhésion inconditionnelle aussi bien du public populaire que des observateurs de la chose culturelle et artistique nationale, en passant par les autorités – consensus particulièrement rare, si l’on y réfléchit bien –, les organisateurs de Jidar se sont attelés, pour l’édition 2016, à élargir le panel d’invités à des artistes en provenance d’Afrique et des pays arabes. Ils ont osé des œuvres plus franchement art contemporain, telle une monumentale peinture du Marocain Balbzioui, dont les personnages disgracieux, loufoques, étrangement masqués, ont passablement dérangé notre fameux passant lambda, ou encore le travail clairement politique de l’artiste urbain égyptien Ammar Abo Bakr, qui s’était particulièrement illustré place Tahrir, renvoyant le paisible Rbati au souvenir encore brûlant du Printemps arabe, dans sa version la plus ambigüe.

« Certes, la philosophie de l’événement relève du principe “l’art apaise les mœurs", sourit Salah Malouli, directeur artistique de Jidar, mais nous pensons intéressant de familiariser, petit à petit, le grand public avec une vision moins esthétiquement consensuelle de l’art dans la rue ». Souci que nous ne pouvons que saluer. Comme nous applaudissons de bon cœur l’importance considérable donnée au volet formation et développement de la scène artistique urbaine nationale, à travers cet événement ayant acquis, en si peu de temps, une formidable

crédibilité auprès de la communauté internationale concernée. « Au début, j’ai usé de mon carnet d’adresses (résultant de quinze ans d’activisme dans le secteur à Barcelone, ndlr) pour attirer chez nous les grands noms internationaux du street, avoue Malouli. Mais, très vite, le bouche-à-oreille à fonctionné. Si nos cachets sont très modestes par rapport à ceux pratiqués ailleurs, le sérieux de notre démarche, notre qualité d’accueil et les conditions de travail que nous offrons,sont, eux, aux normes internationales. Ce qui les épate, venant d’un pays du Sud… » Au départ, les participants marocains de Jidar n’étaient qu’une poignée de sympathiques grapheurs amateurs gravitant autour de la scène nationale des musiques urbaines – créée et boostée, comme chacun sait, par le formidable travail d’encadrement et de promotion de Mohamed Merhari et Hicham Bahou, de L’Boulevard.

NAISSANCE D’UNE SCÈNE

Deux éditions plus tard, nous assistons à la naissance d’une véritable scène nationale d’art urbain, dont certains ont fait leur métier toute l’année ! « Nous avons commencé par fournir à chaque participant un pack pro (carnets de croquis, masque, gants et bombes adéquates), avant de les faire travailler en équipe pour des œuvres collectives, sous l’encadrement de gros calibres internationaux. Ils ont appris à travailler sur un mur soigneusement préparé, à se confronter au vide du haut d’une nacelle, à recouvrir le tout d’un vernis garantissant la durée de l’œuvre, sachant que la plupart ne connaissaient que leur écran d’ordinateur ! Aujourd’hui, les plus doués sont tout à fait autonomes et très demandés. C’est vraiment gratifiant pour les médiateurs culturels que nous sommes de se dire qu’on peut faire bouger les choses sur le terrain », se félicitent, de concert, nos organisateurs, auxquels nous souhaitons une édition 2017 encore plus créatrice d’espoir.

 

Jidar, Toiles de rue #3, Rabat, du 21 au 30 avril 2017.

Joana Choumali, Mrs. Martine, 120 x 90 cm Courtesy of 50 Golborne
Joana Choumali, Mrs. Martine, 120 x 90 cm Courtesy of 50 Golborne
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