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Joana Choumali file la métaphore

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Joana Choumali photographie et brode comme on résiste. Le fil relie les êtres, répare leurs blessures, ajoute un récit aux images de l’artiste ivoirienne, actuellement réunies dans l’exposition «3134». Une référence aux kilomètres qui séparent Abidjan de Casablanca, où elle a vécu pendant ses études.

Pour Joana Choumali, broder est « un acte d’espoir ». Elle a commencé au Maroc, il y a trois ans, pendant une résidence d’artiste à Ifitri, près d’Essaouira. « C’était le lieu idéal pour se mettre à broder, cela coïncidait avec un besoin personnel de ralentir, de trouver le temps de méditer ». Elle travaille alors sur Translation, une série de diptyques sur la migration. Le fil, comme celui de Pénélope qui trompe le temps en l’absence du bien-aimé, raconte le calvaire des migrants et l’attente peut-être sans espoir de leur famille. « L’Occident les voit comme des rebuts, mais un migrant c’est un manque, quelqu’un qui va laisser un trou béant dans son pays, son entourage ». L’aiguille occupe la main, guide le fil des pensées, en même temps qu’elle suture les blessures. Il est souvent question de résilience chez Joana Choumali, de permanence du passé, des coutumes. Comme ces portraits de visages scarifiés de la série Hââbré, the last generation. Ou comme dans la série The Resilients, faisant poser des femmes urbaines dans les atours de leurs mères et grand-mères.

 

By your side, série Alba’hian, 2018. Courtesy de l’artiste et Loft Art Gallery

 

« Survivre à l’adversité et en faire quelque chose de beau, c’est ça le sens de mon travail », résume Joana Choumali. Rien de plombant ici. Les images de cette radieuse quadragénaire, au sourire solaire et au regard qui plonge jusqu’à l’âme, sont comme la main apaisante que l’on pose sur le bras d’un ami pour lui dire « ça va aller ». Cette expression est d’ailleurs le titre de sa seconde série brodée. Des mots résignés qui se disent tout le temps en Côte d’Ivoire pour clore les conversations et jeter un voile de pudeur sur les sentiments, y compris après l’attentat de la plage de Grand-Bassam perpétré par AQMI en mars 2016. En entamant un travail documentaire sur ce tragique événement, Joana Choumali se rend compte à quel point il est difficile pour les Ivoiriens d’en parler. Habituée à sortir prendre des photos tous les jours, elle commence à immortaliser les lieux désolés de l’attentat, autrefois plein de vie. Mais la maladie la stoppe dans son élan et l’empêche quasiment de se déplacer pendant un an. Pour « continuer à se sentir artiste », elle reprend son aiguille et la laisse filer sur ses photos de Grand-Bassam, imprimées en petit format pour pouvoir travailler depuis son lit. « La broderie est ce que j’ai trouvé à faire pour me soulager et tisser un lien avec les autres », raconte Joana Choumali qui interroge : « Qu’est-ce que serait l’Afrique si elle acceptait de se mettre en face de ses blessures, sans se dire ça va aller ? »

L’artiste suit aussi le fil de ses rêveries de promeneuse solitaire, comme dans la série Alba’hian, « l’aube » en dialecte agni, ce moment de la journée où elle a désormais pris l’habitude d’aller marcher et prendre des photos. Des images de paysages uniquement, qu’elle peuple ensuite de personnages, de motifs collés et brodés. Les morceaux de tulle matérialisent la brume matinale et les couleurs restituent les lueurs naissantes de ces instants propices à l’introspection. « Mon travail m’aide à apprendre sur moi, à devenir une meilleure personne. Je cherche toujours à comprendre ce qui fait de nous des êtres humains, ce qui nous différencie et ce qui nous lie. » Au fond, l’oeuvre de Joana Choumali ne tient qu’à un fil : celui de la vie.

 

Laetitia Dechanet

Joana Choumali, «3134», Loft Art Gallery, Casablanca, jusqu’au 10 mars 2019.

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