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Khadija Jayi, déesse de l’enfer

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Lauréate de l’Institut des beaux-arts de Tétouan en 2018, la jeune plasticienne sublime ses brûlures intérieures en apposant le feu sur le papier, juste assez pour le marquer mais pas assez pour le faire disparaître complètement.

Création ou destruction ? Chez Khadija Jayi, les deux vont de pair. L’urgence de dire son mal la pousse à prendre pour matériau l’un des emblèmes de la destruction, le feu. En brûlant les liasses de papier qui composent ses oeuvres, la jeune artiste saccage le support sur lequel elle aurait pu s’exprimer par l’image.

Au terme d’un processus de vandalisme créatif, à coups prudents de chalumeau, le souvenir du feu imprime sur la feuille le temps lent et douloureux d’une souffrance. Ses installations murales, hérissées de couches de papier brûlé et rehaussées de vernis et de fils rouges qui ressemblent à des veinules, évoquent le relief d’une peau brûlée.

Les reliques de la terre 06, 2022, papier et photographies brûlées, 180 x 130 cm. Courtesy de l’artiste

Dans sa négation de la probabilité même d’un acte créatif, Khadija Jayi crée, paradoxalement, une « prise de position visuelle » qui fait oeuvre d’art. Cherchant à rendre visible « le mouvement lent du feu qui est en nous », elle simule ainsi la violence physique et psychologique qu’elle a subie lorsqu’on lui a refusé d’être une artiste, d’abord dans un milieu familial austère et alourdi par des traditions iconoclastes, puis dans une culture dominée par le masculin qui nie son existence en tant que femme libre et créative.

D’ailleurs, sa dernière série de tableaux a été réalisée à partir de photos de femmes inconnues. Leur identité est ôtée par le feu, ne laissant entrevoir que des fragments de visages. Ces résidus de combustion, soigneusement distribués sur la surface du tableau dans un mouvement qui rappelle l’agitation des flammes, incarnent cette exclusion du féminin dans l’espace public en général et dans le milieu de la création en particulier. Une telle présence n’est possible qu’au prix de leur calcination sur le bûcher du patriarcat. À l’image d’une déesse des enfers, Khadija Jayi a su sublimer ses brûlures en produisant une oeuvre libératrice, au fort pouvoir évocateur.

Salima El Aissaoui

Sanctuaire de l’éternité 01, 2022, papier brûlé, acrylique, plastique, fibre, fil, 90 x 50 cm. Courtesy de l’artiste
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