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Le Nouveau Musée National de Monaco fait un détour cosmopolite par Alexandrie

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Le NMNM change de direction et fait la part belle aux échanges sud-sud. Avec l’arrivée de Björn Dahlström à sa tête, l’institution monégasque pose la thèse d’un surréalisme méditerranéen dans l’exposition “Monaco Alexandrie, le grand détour”. Jusqu’au 2 mai.

Désormais, il faudra compter le Nouveau Musée National de Monaco sur la carte des lieux d’art contemporain en Méditerranée. Après un grand dépoussiérage opéré il y a une dizaine d’années par Marie Claude Beaud, Björn Dahlström reprend les rênes du NMNM pour continuer d’affirmer son ancrage dans la création actuelle. Avec comme touche personnelle, les échos de son expérience marocaine au Musée Yves Saint Laurent de Marrakech.

D’origine suédoise, né à Casablanca et ayant grandi au Maroc, Björn Dahlström établit de nouveaux défis dans la ligne directrice du musée : relier Monaco à la Méditerranée du monde arabe, en s’adjoignant le commissariat pointu de Zaman Books and Curating, représenté par Morad Montazami et Madeleine de Colnet. « C’est une histoire marocaine qui se poursuit à Monaco, en passant par Alexandrie », évoque cette dernière lorsqu’on l’interroge sur la genèse de l’exposition « Monaco-Alexandrie, le Grand Détour, Villes-mondes et surréalisme cosmopolite » qui se tient à la Villa Sauber [l’un des deux lieux qui constituent le NMNM, ndlr]  jusqu’au 2 mai prochain.

Dahlström avait repéré la force scénographique et documentaire de l’exposition « New Waves » sur Mohamed Melehi et les archives de l’Ecole de Casablanca orchestrée par Zaman au MACAAL en 2019. « Cela a commencé autour d’une discussion, comme une intuition, raconte Björn Dahlström. L’idée de départ était de solliciter Morad Montazami et Madeleine de Colnet pour faire dialoguer nos collections avec la Méditerranée arabe. En reliant Monaco à Alexandrie, le concept s’est transformé en une révélation, celle d’un fragment de puzzle qui recrée l’histoire de la Méditerranée. C’est peut-être ce qu’on attendait de moi, venant du Maroc. »

Antoine Malliarakis dit Mayo, Personnage, 1937 Huile sur bois, 41x30 cm May Moein Zeid & Adel Youssry Khedr/MMZAYK Collection, Le Caire / Cairo Photo © MMZAYK, Emad Abdelhady© Antoine Malliarakis dit Mayo / Adagp, Paris, 2021

Un mariage inattendu

Déjà engagés dans une recherche sur le surréalisme égyptien, Morad Montazami et son équipe ont donné naissance à cette union insolite, celle de Monaco et d’Alexandrie. Les liens entre ces deux cités ne semblent pas si évidents au départ. Chantres d’un tourisme aux visages différents, glamour pour l’une, massif pour l’autre, ce « Grand Détour » évoque bien sûr le voyage en Orient alors en vogue au 19e siècle, mais aussi une boucle par les charmes de la Riviera qui s’opéra au siècle suivant.

La nouvelle exposition du NMNM dévoile des traits communs peu connus entre ces deux « villes-mondes ». Tout d’abord, un cosmopolitisme affirmé : si l’on reconnaît Alexandrie comme l’une des grandes capitales culturelles du monde arabe, on sait peut-être moins que Monaco compte 120 nationalités parmi ses résidents. Les deux villes ont aussi été des repaires d’artistes pour une certaine mouvance surréaliste. « Alexandrie était un peu comme Le Caire, une ville refuge, une retraite dorée », précise Montazami. Monaco était un asile de confort, un lieu d’expérimentation insulaire. Ces deux villes ont fini par devenir un creuset artistique plus subversif que des grandes capitales de l’art moderne comme Paris, alors sur le déclin à partir des années 30. » Un exemple parfait de ce contre-courant créatif est probablement le « phalanstère amoureux », comme l’appelle Montazami, qui regroupa André-Pieyre de Mandiargues, Leonor Fini et Stanislao Lepri à Monaco : un trio artistique et intime liant la France à l’Italie, réfugié sur le Rocher durant la seconde guerre mondiale.

GéraldMessadié, Peinture portrait de Georges Henein, années 1960 / 1960s Huile sur papier / oil on paper 28,5×23,5 cm Collection Catherine Farhi Photo : NMNM/François Doury, 2021

Tropisme du sud

D’Alexandrie à Monaco, Zaman Books and Curating apporte dans ses valises la crème de l’art moderne égyptien, comme le pionnier Mahmoud Saïd qui pensait déjà le concept de « ville-monde » dans sa peinture. Mais aussi les surréalistes Georges Henein – fondateur du groupe « Art et liberté » – Fouad Kamel, Salah Taher ou encore Mohamed Riyad Saeed, un surréaliste plus tardif (années 1980-90). La présence de ces artistes importants doit beaucoup à la coopération avec les musées des beaux-arts du Caire et d’Alexandrie, mais aussi de grands prêteurs égyptiens comme la May Moein Zeid & Adel Youssry Khedr Collection.

La vraie découverte de cette période cosmopolite et féconde est probablement Samir Rafi avec sa mystérieuse toile Femme Oiseau : ce porte drapeau du « Groupe pour l’art contemporain » en Egypte a vécu 50 ans à Paris, en passant sous les radars de la documentation de l’art moderne jusqu’à aujourd’hui. Dans une ligne plus abstraite, dans tous les sens du terme, on assiste à un dialogue organique entre les cactus du Jardin Exotique de Monaco photographiés par Brassaï – une série qui figurent dans les collections du NMNM – avec les sous-bois liquides du peintre grec Antoine Malliarakis dit Mayo (né à Port Saïd en Egypte) et les sculptures aquatiques du sculpteur italien Michele Ciacciofera. On s’intéresse davantage à la salle « Egyptmonania », où une Salomé peinte par Kees Van Dongen, qui voyagea en Egypte en 1913 et finit sa vie à Monaco, prend des allures de danseuse du ventre, éthérée et tentatrice. Elle fait face aux décors et costumes du film La Terre des Pharaons signés par Mayo, artiste pluridisciplinaire « typiquement porteur d’identités fluides » comme le rappelle Montazami. Ce péplum hollywoodien réalisé par Howard Hawks en 1955 est l’un des mieux documentés dans son genre.

Vue d’exposition ©NMNM/Andrea Rossetti, 2021, Virginia Tentindo, Leonor Fini

Le commissariat de Zaman dévoile aussi un pan oublié de l’histoire de l’art, dans la section « Vive l’art dégénéré ». Reprenant le slogan d’un tract officiel du mouvement surréaliste égyptien défiant alors la propagande nazie contre l’art moderne, l’exposition du NMNM rappelle que Monaco et Alexandrie ont été des refuges précieux pour la création menacée durant la seconde guerre mondiale. On y découvre avec délice ce que Morad Montazami appelle un « féminisme méridional », alors que peu de femmes ont été mises en avant dans le mouvement surréaliste. Ici planent les mots de la poétesse et artiste Joyce Mansour, égyptienne par alliance et d’expression française : « Les vices des hommes / Sont mon domaine / Leurs plaies mes doux gâteaux / J’aime mâcher leurs viles pensées / Car leur laideur fait ma beauté. » Plus tardives que la mouvance égyptienne des années 30-50, on trouve certainement ici les oeuvres les plus subversives de l’exposition, datant des années 1960-70 : les objets-méchants de Joyce Mansour – fétiches inquiétants percés de médailles et de clous – les sculptures violemment érotiques de Virginia Tentindo ou un sphinge énigmatique dessiné par Leonor Fini.

Latifa Echakhch Clown aux masques, Série des Automates, 2018, Vidéo, couleur et son 4 min. 28 sec. Collection NMNM

L’Afrique à Monaco

Et l’art africain contemporain dans tout ça ? Sa place est plutôt dans les collections du NMNM, dévoilée dans l’exposition « Tremblements » à la Villa Paloma, le quartier général du musée fraîchement restauré [second lieu qui compose le NMNM, ndlr]. Marie-Claude Beaud avait veillé à quelques achats de qualité, notamment à l’issue de résidences.

Ici, on sent un lien plus direct avec la vocation première du Musée National de Monaco, orientée vers les poupées et décors de théâtre. Dans une ré-interprétation du Lac des Cygnes, Yinka Shonibare file jusqu’au bout la métaphore de la dualité Odette/Odile, en mettant face à face le cygne blanc et le cygne noir, l’image du bien et celle du mal. Latifa Echakhch utilise les automates de la collection du musée pour composer son inquiétante vidéo L’homme au masque. Yto Barrada et sa maquette animée Gran Royal Turismo font aussi partie de la collection.

L’exposition « Tremblements » révèle surtout le positionnement subversif du NMNM, par des œuvres marquées par la translation, qui ne se posent aucune limite. Clément Cogitore et sa re-visitation des Indes Galantes font trembler le Rocher par l’infiltration de la danse krump dans la musique baroque. Une grande place est aussi donnée à la culture queer, comme l’assourdissant silence de modèles transgenres dans la vidéo de Pauline Boudry et Renate Lorenz, tournée à Berlin. Ces liens entre Monaco et le reste du monde, « il faut continuer de les écrire » rappelle judicieusement Björn Dahlström. Bientôt les photographies de l’Australien Helmut Newton, qui vécut à Monaco dans les années 1980, viendront garnir les cimaises du NMNM cet été. Il est aussi question que l’exposition « Monaco-Alexandrie, le Grand Détour » fasse une étape retour en Egypte. Le périple du musée autour de la Méditerranée ne fait que commencer.

Marie Moignard

«Monaco – Alexandrie, le grand détour », exposition au NMNM – Villa Sauber, Monaco, jusqu’au 2 mai 2022.
« Tremblements », exposition au NMNM – Villa Paloma, Monaco,  jusqu’au 15 mai 2022.
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