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[Lettre du Liban] Beyrouth à genoux

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Presque deux mois après l’explosion qui a saccagé la capitale Libanaise, la photojournaliste Carla Henoud dresse un portrait sensible de cette ville martyre et témoigne de la résilience de ses habitants qui peinent pourtant à s’en remettre.

C’était une fin d’après-midi ordinaire, qui s’étirait lentement sous le soleil cru d’un mois d’août à Beyrouth. Le cœur au ralenti, à l’image d’un Liban vidé de sa légendaire énergie depuis octobre 2019. La Corniche, toujours aussi belle, déployait inlassablement ses saveurs sucrées salées, retenant encore quelques instants, avant la nuit, des coureurs, des rêveurs, des passants mélancoliques en quête de parenthèses dans lesquelles diluer leur peur du lendemain, face à la crise sanitaire, économique et financière qui dure depuis presque un an.

Le regard en quête d’une première photo, puis d’autres, pour fixer les nuances de bleus, les visages des passants, étonnants de simplicité, et la fin de cette journée qui réservait le pire. Et puis, brusquement, un bruit sourd, un souffle puissant qui avale la ville. Le silence et la peur. L’incompréhension totale. Une peur terrible. Le sentiment pendant quelques secondes d’être mort et se dire que « c’est trop bête ».

Et puis ce champignon, immense, presque beau quand il s’empare des couleurs du coucher du soleil. Et puis cette averse de vitres, cette cacophonie de klaxons de voitures atteintes. Prendre une photo, encore une, sans réfléchir, pour se sentir vivante, rescapée de l’enfer. Pour ne jamais oublier ce spectacle surréaliste. Et partir, vite, en larmes. Retrouver ses repères, s’assurer que tout le monde va bien et essayer de comprendre ce qui s’est passé.

L’impressionnant champignon de fumée quelques secondes après l’explosion, vu de la Corniche de Beyrouth. ©Carla Henoud

État des lieux : l’horreur

Les montres se sont arrêtées, ce jour-là, à 18 heures 08 et sans doute un peu de notre mémoire avec. Chacun se souviendra jusqu’au dernier jour de sa vie où il se trouvait à cet instant précis où sa ville a explosé, emportant avec lui une légèreté caractéristique aux habitants de Beyrouth touchés dans leurs espaces de vie, leurs quartiers, leurs maisons.

Presque deux mois plus tard, on continue à panser ses blessures, à balayer les vitres et les poussières de douleur qui restent. On ne parle que de « ça ». De l’instant d’avant, de l’instant précis, de l’après. Des « si je n’avais pas pris cette route » ou « si j’avais fini plus tôt », des miracles, de la chance, de la culpabilité, des disparus.  On essaie de chasser les images de ces rescapés de l’enfer, l’œil, le visage, le cœur recousus. On tente d’oublier le regard désemparé de ceux qui ont perdu un être cher – 194 victimes à ce jour – des 6 500 blessés et des 300 000 personnes, dont une grande partie de vieillards sans abris. Et surtout les vidéos de fins de monde diffusées en boucle sur toutes les télévisions, celle des hôpitaux, des blessés hagards, ces témoignages d’un instant de folie que l’on compare à Nagasaki et Hiroshima.

Dans le quartier de Gemmayzé, les bâtisses traditionnelles en danger d’effondrement total. ©Carla Henoud

Balayer la vision apocalyptique du port et ses silos, des quartiers de Mar Mikhaël et de Gemmayzé est également une opération impossible. C’est ici que se trouvaient les ateliers des artistes et des créateurs de mode internationaux, (parmi lesquels Elie Saab, Rabih Kayrouz, Azzi&Osta, Zuhair Mrad), les designers (Nada Debs, David et Nicolas, Karen Chekerdjian, Sayyar et Gharibeh, Maria Halios), les galeries, (Tanit, Saleh Barakat, Sfeir Semler, Art on 57th, Marfa’, le Water Front où se tenait le Beirut Art Fair et d’autres) ; les cafés, les bars, les restaurants. C’est dans ces ruelles pleines de charme et d’anciennes bâtisses qu’une vie s’était organisée battant au rythme d’une jeunesse pleine d’énergie.

Le Port de Beyrouth, une vision de fin de monde. Le gouvernement est pointé du doigt. ©Carla Henoud

Après un premier état des lieux, effroyable vision d’une ville à genoux, après les premiers secours, et les interventions des volontaires et des ONG, en l’absence totale d’un gouvernement assassin, l’heure des bilans chiffrés a sonné : 640 bâtiments historiques ont été touchés, dont 60 risquent de s’effondrer. Et au moins 8 000 bâtiments ont été endommagés, la plupart dans les vieux quartiers de Gemmayzé, Mar Mikhaël et la rue Sursock.  Certains joyaux qui font partie du patrimoine architectural de la ville ont été gravement atteints, dont  le Musée National et le Palais Sursock appartenant à Lady Yvonne Cochrane, elle-même décédée suite à la double explosion du Port.

Les vitraux du Musée Sursock ont été soufflés par l'explosion du 4 août. ©Michel SAYEGH

Sauver Beyrouth et son patrimoine ? 

Ce sont évidemment et exclusivement des initiatives privées libanaises et des aides étrangères qui ont permis aux volontaires de nettoyer les rues, dégager les blessés, organiser les secours et les premières réparations, distribuer aliments et médicaments aux plus démunis. Un mouvement de solidarité international a été immédiatement lancé. À l’instar de L’Union Européenne, la Grande-Bretagne, La Suisse, la Russie, les États-Unis, Qatar et la Jordanie, le roi Mohammed VI a donné ses instructions pour l’envoi d’une aide médicale et humanitaire d’urgence, des médicaments, des produits alimentaires, des tentes et des couvertures pour l’hébergement des sinistrés ainsi que du matériel médical de prévention contre le Covid-19. Un hôpital militaire de campagne a également été installé dans Beyrouth. La France s’est également mobilisée. Outre la visite du président Emmanuel Macron à deux reprises et ses efforts pour trouver une solution politique, Le musée du Louvre et l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine en péril (ALIPH) se sont impliqués aux côtés de la Direction générale des antiquités (DGA) pour venir en aide à la reconstruction de Beyrouth en offrant une première enveloppe d’urgence de cinq millions de dollars, dont 200 000 dollars seront consacrés aux travaux de réhabilitation des locaux administratifs et des réserves du musée national de Beyrouth, sévèrement touchés.

Le quartier de Mar Mikhael touché en plein cœur. ©Carla Henoud

Devant un monde qui s’active et tente de la consoler, Beyrouth n’a pas encore fait son deuil. Comme un blessé de guerre, elle essaie de se redresser péniblement. Les rues de la capitale sont encore dans le noir, les restaurants et bars peinent à reprendre, les galeries ont du mal à redémarrer, la crise économique et le coronavirus n’aidant pas un retour à la normale. L’avenir ? Les Libanais ne le voient pas, encore noyés dans une incertitude et une tristesse immense. Reste le présent, chancelant, et l’ombre du passé…

Carla Henoud

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