La Pureté, photographie de Prince Gyasi (Ghana), tout en abandonnant toute référence à l’histoire de l’art européen (pour autant que cela soit possible), confirme la proximité de la magnificence et de l’angoisse. En légère contre-plongée qui les grandit, trois jeunes hommes torse nu, les épaules musclées, la peau brillante, tiennent chacun le long de leur corps un « drap » d’un bleu intense – sans doute un tapis de gymnastique. Ils apparaissent sur un fond uni, dégradé de l’orange au rouge saturé, presque insupportable comme le soleil à midi, en été, en Afrique. L’image magnifie ce qu’elle montre, mais en brûlant.
Sud-africaines, Lebohang Kganye et Phumzile Khanyile ont, chacune selon leur style, affaire aux fantômes. À côté de la première, assise dans l’herbe d’un paysage composite, banal en apparence, en fait onirique, apparaît son double spectral, translucide. Comme souvent dans l’œuvre de cette artiste, le double est la même et elle est différente (une autre expression, une autre coiffure, un bijou que l’autre ne porte pas…). Mais l’altérité ne tient pas au double seulement. Le tailleur strict de la femme assise dans l’herbe étonne : elle est jeune, il est suranné. Est-ce le sien ou celui d’une ancêtre ? De la femme actuelle et du spectre, qui hante et qui est hanté ? Khanyile, elle aussi, pose dans des habits qui ne sont pas les siens (mais sans doute ceux de sa grand- mère) et elle tient à son bras, comme un compagnon debout à côté d’elle, un manteau vide. Manifestement la fin du XXe siècle, la vie des grands-mères, dans l’Afrique du Sud de la ségrégation et des luttes, ne passe pas, et revient habiter l’art de leurs petites-filles.
Mais pas celui d’Alice Mann, elle aussi d’Afrique du Sud. Les merveilleuses Drummies, sous leurs bonnets de fourrure roses ou violets, regardent l’objectif avec tendresse, fierté, confiance et humour. À cet égard, la série confirme la leçon que donnait déjà Domestic Bliss en s’opposant à l’indigne tradition d’un regard dégradant l’affirmation forte et tranquille de l’éminente dignité des femmes (et des jeunes filles) photographiées. Là, l’image ne tente pas d’inverser le stigmate : elle l’annule.