L’annonce est officielle : le Maroc sera, pour la première fois, présent parmi les pavillons nationaux à la 60e biennale de Venise, du 20 avril au 24 novembre 2024. Et c’est l’artiste et écrivain marrakchi Mahi Binebine qui en prend les commandes.
Effet Coupe du Monde ? Alignement des planètes ? Le Maroc passe à la vitesse supérieure en matière de soft power. Le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, a annoncé en juillet dernier la participation du pays à la prochaine Biennale de Venise.
Le commissariat a été confié à Mahi Binebine qui, à son tour, a sélectionné trois artistes femmes : Fatiha Zemmouri, Safaa Erruas et Magida Khattari. « Elles sont parmi les meilleures, assure Mahi Binebine, et j’avais envie, pour cette première participation, de donner une image de ce qu’est le pays. Donner un signal pour dire que nous allons vers la modernité.»
Comme décidé après un voyage de repérage effectué par le ministre de la Culture et ses équipes au printemps dernier, le pavillon du Maroc se situera à l’entrée de l’Arsenale, à quelques encablures des Giardini où les nations historiquement représentées (Italie, France, Allemagne, Brésil, États Unis…) ont leur pavillon permanent.
Cette participation sous forme de pavillon national – la première pour le Maroc après diverses présences en off ou événements collatéraux – est un projet mené depuis un an par le ministre Mohamed Mehdi Bensaid et ses équipes, de concert avec le ministère des Affaires étrangères, la direction de la Biennale en Italie et la diplomatie des deux pays.
Pourquoi est-ce une bonne nouvelle pour le Maroc ? Les enjeux de la Biennale de Venise – la plus vieille du monde, 1895 – sont bien connus. Non seulement Venise offre une tribune aux pays participants qui y exposent le meilleur de leur scène artistique mais elle leur permet aussi d’afficher leurs ambitions sur l’échiquier mondial. « La création artistique contemporaine [accompagne] les stratégies politiques et économiques d’une nation », rappelle Nathalie Obadia dans son ouvrage Géopolitique de l’art contemporain.
Par capillarité, cela profite aussi aux artistes qui y intègrent le circuit international de l’art. « C’est une vitrine incroyable pour le Maroc pendant 7 mois dans l’un des lieux les plus beaux de la planète », souligne Mahi Binebine qui s’entoure d’acteurs déjà connus au Maroc et à l’international comme Mostafa Aghrib et Imane Barakat qui a fait partie des équipes de la Fondation Nationale des Musées lors du lancement du Musée Mohammed VI en 2014, avant de rejoindre la coordination de la Biennale d’art contemporain de Marrakech en 2016 et la direction de la galerie Comptoir des Mines de 2017 à 2021.
La participation du Maroc renforcera également la présence de l’Afrique dans cette grand- messe de l’art. Une présence qui s’est affirmée au fil des années, permettant aussi de dessiner de nouvelles géographies. En 2015, la nomination du commissaire d’origine nigériane Okwui Enwezor à la direction artistique avait envoyé un signal fort, tout comme la participation du Ghana qui avait remporté un succès critique en 2019 ou celle de l’Ouganda reparti, l’an dernier, avec une mention spéciale pour sa première participation. Récemment, c’est le Bénin qui a annoncé un premier pavillon national en 2024. Un rééquilibrage naturel au vu du poids croissant de l’Afrique dans les jeux géopolitiques contemporains.
(c)biennale di Venezia
Cap sur les Suds
Intitulée « Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere », cette 60e édition est menée par le commissaire brésilien Adriano Pedrosa, directeur artistique du Museu de Arte de São Paulo et premier curateur latino-américain à prendre les rênes de l’événement. « La Biennale Arte 2024 sera une célébration de l’étranger, du lointain, de l’outsider, du queer, ainsi que de l’autochtone », annonce-t-il dans son statement.
Une première section de l’exposition internationale, « Nucleo Contemporaneo », entend remettre au centre « l’artiste queer, qui s’est déplacé au sein de différentes sexualités et de différents genres, souvent persécuté ou hors-la-loi ; l’artiste outsider, qui se trouve en marge du monde de l’art, tout comme l’autodidacte et l’artiste dit folklorique ; ainsi que l’artiste autochtone, souvent traité comme un étranger dans son propre pays. »
Une seconde section, « Nucleo Storico », se consacrera aux modernismes du Sud avec « des œuvres du XXe siècle provenant d’Amérique latine, d’Afrique, du monde arabe et d’Asie ». « Nous ne connaissons que trop bien l’histoire du modernisme nord-américain et européen, poursuit Adriano Pedrosa, mais les modernismes du Sud restent largement méconnus (…) il est urgent d’en apprendre davantage sur eux et de les connaître. » Une volonté affichée d’élargir si ce n’est de « remettre en question les frontières et les définitions du modernisme.»
Dans cette partition résolument tournée vers les Suds, le Maroc devrait réussir à tirer son épingle du jeu. « Foreigners Everywhere est un thème qui me parle beaucoup personnellement. J’ai écrit des livres là-dessus ! Le Maroc est une terre d’accueil, de passage. J’ai envie de défendre cela, de parler de cette ouverture et de ce lien entre les gens. Nous sommes intrinsèquement dans le thème! », s’enthousiasme Mahi Binebine.
Notre magazine n’a cessé de rappeler dans ses pages l’importance d’une participation nationale. Aujourd’hui, nous y sommes. Comme toujours pour une première participation, les projecteurs seront particulièrement braqués sur notre pavillon. À quelques mois de l’ouverture de cette 60e édition, le défi est grand.
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