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Marwan Bassiouni, une fenêtre inversée sur l’islam

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Plus que légitimer la présence d’une communauté musulmane installée depuis des décennies en Europe, ce photographe aux racines entremêlées rétablit un équilibre entre culture dominante et minoritaire, par le biais du regard.

La diaspora de la photographie marocaine a aujourd’hui un nouveau visage. Celui des images de Marwan Bassiouni, photographe contemplatif et ancré dans la tradition arabo-musulmane. Quand d’autres cherchent leurs racines d’une rive à l’autre de la Méditerranée, Marwan Bassiouni semble fusionner sans complexes avec elles. Les origines qu’il embrasse semblent résumer à elles seules un siècle d’histoire coloniale : suisse de naissance, installé aujourd’hui aux Pays-Bas, il est issu d’une famille américano-italienne et égyptienne. Dans sa dernière série, il tente d’affirmer que l’islam n’est pas un corps étranger à l’Occident, mais qu’il en fait bel et bien partie.

New British Views #6, Angleterre, 2021, série New British Views, 2021-2022, tirage pigmentaire monté sur dibond, 166,5 x 125 cm. © Marwan Bassiouni. Courtesy Dürst Britt & Mayhew

Musulman pratiquant sur le tard, la spiritualité est pourtant ce qui guide sa pratique photographique depuis ses débuts. Loin de se destiner à une carrière artistique, à 24 ans Marwan Bassiouni a une sorte de révélation – même s’il ne la définit pas comme telle – au sommet d’une montagne. Sur ce territoire symbolique qui appelle à la méditation, il est pris d’une nécessité de documenter son environnement direct. Il quitte alors sa carrière de manager hôtelier pour faire ses classes à l’École de photographie de Vevey et à la Royal Academy of Art de La Haye.

En 2017, il débute sa première série Prayer Rug Selfies, un travail en noir et blanc où il témoigne de sa spiritualité personnelle. Immortalisant « l’après » dévotion, il photographie son propre tapis de prière, donné par son père, dans toutes sortes de lieux disséminés en Europe, quelquefois des plus incongrus. Les bases de son projet photographique sont posées : confronter la présence musulmane à un contexte occidental, imposer l’absence de figure humaine et la répétition d’un même schéma visuel.

New British Views #21, Angleterre, 2022, série New British Views, 2021-2022, tirage pigmentaire monté sur dibond, 150 x 200 cm. © Marwan Bassiouni. Courtesy Dürst Britt & Mayhew

La constance est bien la composante principale du travail de Marwan Bassiouni. Sa série des New Dutch Views, suivie de ses pendants britannique et suisse, sont toutes pensées sur un même principe : celui d’insérer la vue d’un pays « hôte » européen, depuis l’intérieur de ce haut lieu de la culture musulmane qu’est la mosquée. Il a parcouru pour cela des centaines de villes et de villages, à toutes heures du jour, à la recherche de la lumière et du cadre parfaits. « Je ne mets pas en scène mes images pour autant. Je prends beaucoup de temps pour trouver ces vues. Elles sont en réalité déjà composées. Donc quand je construis ma photographie, je ne compose pas, je sélectionne. »

Marwan Bassiouni s’inspire de certains ascètes de la photographie documentaire comme Robert Franck, Jeff Wall ou Hiroshi Sugimoto. Mais la « vérité » de ses photographies est relative. Il propose en effet des scènes impossibles, où le premier plan est aussi net que l’arrière-plan, par un jeu de poses multiples qu’il superpose dans l’image finale. Ce tour de passe-passe technique a une finalité symbolique : il permet de contenir dans un seul regard l’intérieur et l’extérieur, la réalité musulmane au sein du contexte occidental. « L’intérieur de la mosquée, sa perspective, représentent en réalité les gens qui l’occupent. Ces scènes sans personnages et sans mouvement aident aussi à avoir un regard plus serein, apaisé. »

New Swiss Views #3, Suisse, 2021, série New Swiss Views, 2021-2022, tirage pigmentaire monté sur dibond, 166,5 x 125 cm. © Marwan Bassiouni. Courtesy Dürst Britt & Mayhew

Ce motif de l’ouverture n’est pour lui « pas seulement une fenêtre, mais un miroir ». On pense alors aux tableaux de la Renaissance, comme Les Époux Arnolfini de van Eyck, mais aussi des scènes d’intérieur où la présence de la fenêtre permettait l’ouverture sur un monde en pleine mutation, qu’on souhaitait alors maîtriser. Leon Battista Alberti théorisait quant à lui ce type de cadre comme « une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire » (De pictura, 1435). Chez Marwan Bassiouni, cette fenêtre a bien un potentiel de narration : celle de la mise en abyme, du Motif dans le tapis comme le formulait Henry James, énigme même de l’oeuvre d’art. Ceci n’est pas sans rappeler le principe géométrique fractal de l’art décoratif islamique. Bassiouni se dit d’ailleurs très influencé par la calligraphie, la géométrie et l’architecture sacrée. « En tant que photographe, j’aime à penser que je finis par disparaître derrière l’image. Plus je disparais, plus cela permet à quelque chose d’autre d’émerger, quelque chose qui confinerait au mystère du monde. » Bien que solidement ancrée dans une fusion des cultures, la photographie de Marwan Bassiouni parvient à atteindre l’universel.

Marie Moignard

New Dutch Views #51, Pays-Bas, 2021, série New Dutch Views 2, 2021-2022, tirage pigmentaire monté sur dibond, 200 x 150 cm. © Marwan Bassiouni. Courtesy Dürst Britt & Mayhew
New Dutch Views #49, Pays-Bas, 2021, série New Dutch Views 2, 2021-2022, tirage pigmentaire monté sur dibond, 166,5 x 125 cm. © Marwan Bassiouni. Courtesy Dürst Britt & Mayhew
New Dutch Views #46, Pays-Bas, 2021, série New Dutch Views 2, 2021-2022, tirage pigmentaire monté sur dibond, 166,5 x 125 cm. © Marwan Bassiouni. Courtesy Dürst Britt & Mayhew
New British Views #12, Angleterre, 2021, série New British Views, 2021-2022, tirage pigmentaire monté sur dibond, 150 x 200 cm. © Marwan Bassiouni. Courtesy Dürst Britt & Mayhew
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