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Moffat Takadiwa, par-delà l’esthétique du rebut

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L’artiste zimbabwéen crée des sculptures complexes en assemblant des centaines, voire des milliers, de déchets domestiques et industriels. Si ses « wall carpets » subliment le rebut, ils invitent aussi à interroger le monde d’aujourd’hui.

Moffat Takadiwa crée des pièces sculpturales à partir de matériaux habituellement mis au rebut : déchets informatiques, bombes aérosols, capsules de café, brosses à dents, bouchons de bouteille, tubes de dentifrice, entre autres. La réalisation d’une oeuvre commence toujours par un processus de collecte, à l’aide d’une trentaine de collaborateurs qui parcourent les dépotoirs publics de Harare, la capitale du Zimbabwe. Une fois à l’atelier, les déchets sont soigneusement triés par type, couleur, brillance, texture, transparence, puis ils sont assemblés, parfois dans de très grands formats. Il en résulte des oeuvres organiques, sorte de tapisseries baroques dont la beauté de contraste n’est pas sans évoquer les sculptures d’El Anatsui.

On dit des oeuvres de Takadiwa qu’elles interrogent les désordres de l’Anthropocène, les conséquences implacables d’un siècle d’hyperconsommation et la présence trop encombrante de nos restes qui s’amalgament en continents de détritus. Il s’agit aussi, selon l’artiste, de « mettre en évidence la fine ligne de démarcation entre l’abondance et la pauvreté ». Les questions liées aux inégalités, au postcolonialisme et à l’identité culturelle comptent parmi les grandes préoccupations qui traversent son oeuvre. Ainsi, lorsqu’il intitule « Say Hello to English » son exposition à Londres (galerie Tyburn), il rappelle que, pour de nombreux Zimbabwéens et plus largement pour les Africains, il fut essentiel de parler anglais pour acquérir une éducation pendant la colonisation britannique du pays. Ce qui a créé une élite anglophone tout en diminuant le poids des langues et des cultures indigènes.

Moffat Takadiwa, Land of Money and Honey, 2017, capsules de bouteilles en métal et plastique sur cordons en plastique, 180 x 125 cm. © Phillips. Vendu 17 446 $

Parcours d’un éboueur spirituel

Né en 1983 à Karoi, Moffat Takadiwa obtient son baccalauréat au collège polytechnique de Harare (2008) et commence à travailler avec des matériaux trouvés. Remplaçant les matériaux conventionnels que ses ressources ne lui permettent pas de se procurer, les déchets vont finalement constituer un vocabulaire plastique choisi et très construit, exprimé dans des oeuvres étonnamment séduisantes. Sa pratique d’« éboueur spirituel » autoproclamé fait rapidement de lui un personnage de premier plan au sein de la génération d’artistes zimbabwéens nés après l’indépendance. Il expose alors dans les principales institutions du pays et commence à se faire connaître sur la scène internationale au milieu des années 2010. D’abord au sein d’expositions collectives à New York (2014), puis avec une première exposition solo à Londres (2015), organisée par la galerie Tyburn qui va continuer de défendre son travail dans les années qui suivent, notamment pendant les éditions londonienne et new-yorkaise de la foire 1-54 (2016 et 2017), ainsi qu’au Grand Palais pour le salon Art Paris (2017). Takadiwa est aussi accompagné par les galeries Nicodim (New York, Los Angeles, Bucarest) et par la parisienne Semiose qui, après lui avoir consacré une première exposition personnelle en 2021, l’a présenté à la première édition de Paris+ organisée par Art Basel en octobre dernier. À cette occasion, la galerie Semiose rapportait au Quotidien des arts avoir vendu une de ses oeuvres (Ruvarashe/Flower of God) pour la somme de 35 000 euros à une fondation à Madagascar.

Sur le marché des enchères, tout est en construction pour Moffat Takadiwa, dont on connaît cinq résultats d’adjudication depuis une première oeuvre vendue par la société Houghton en Afrique du Sud. Il s’agissait d’une sculpture de deux mètres, vendue pour l’équivalent de 5 000 $. Aujourd’hui que Moffat Takadiwa a attiré l’attention de bien des collectionneurs, les enchères sont nettement moins timorées et les oeuvres similaires grimpent à plus de 15 000 $. La cote de cet artiste progresse ainsi sereinement, sans flamber, sans excès. Ses soutiens parviennent à créer un marché sain, tout en faisant le buzz et en élargissant considérablement la demande autour du globe. Car les oeuvres de Takadiwa ne sont plus cantonnées aux salles des ventes d’Afrique du sud : on les retrouve déjà aux enchères à Londres, à Paris et même à New York.

Céline Moine, Artmarket by Artprice.com

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