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Mohamed Arejdal : tout est performance

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L’exposition « Ressala » de Mohamed Arejdal, qui ouvre ses portes à Marrakech en cette fin d’année, est avant tout l’histoire de la rencontre entre un lieu et un artiste. En voyant la couverture du tiré à part qui lui consacre Diptyk, l’on peut légitimement se demander comment est-il arrivé à crever le plafond de la galerie Comptoir des Mines ? « De là d’où il vient, commente Hicham Daoudi, directeur et fondateur de la galerie, et face à toutes les résistances qu’il a dû affronter pour devenir artiste, mettre en place de nouvelles pratiques, il s’est à chaque fois inventé une nouvelle peau. » Hicham Daoudi a justement misé sur ses capacités d’adaptation.

Car cette exposition est surtout le résultat d’un double défi. Pour Arejdal, celui d’investir les moindres recoins des centaines de mètres carrés de cet immeuble typiquement Art déco du Guéliz, et pour Hicham Daoudi, de laisser ce nomade invétéré poser ses valises dans son lieu, dont l’occupation est une performance en soi. « S’il arrive à le faire ici, quel énorme signal pour la création contemporaine ! renchérit le galeriste. Un symbole de dépassement, d’abnégation… Mohamed Arejdal va assurément laisser une empreinte importante sur notre entité, et donner envie à beaucoup d’autres de tenter une telle aventure. »

Mohamed Arejdal, Entre mes visages, 2009, autoportrait, photographie numérique Courtesy de l’artiste. Photo: Khalid El Bastrioui

« Ressala » (« message » en arabe) est une chasse au trésor, un jeu de piste truffé d’indices, plus ou moins lisibles, où chaque œuvre est une performance transformée en objets. Des indices qu’il faut savoir déchiffrer, dont il faut savoir entendre les signes. Oui, entendre, et non voir, ou lire. Il faut accepter de lâcher prise et d’être dans une translation des sens lorsqu’on pénètre dans le hall de la galerie du Comptoir des Mines, car le déplacement est la marque de fabrique d’Arejdal.

Cela fait dix ans qu’il teste son concept de nomadisme, affûte sa réflexion sur la question des suds, les frontières, la migration, notamment clandestine – qu’il a lui-même expérimentée –, à son corps défendant et engagé, en attendant peut-être de rencontrer un lieu capable d’accueillir la matérialisation de cette pensée. Cette exposition rend enfin compte de la densité de cet art performatif, la performance étant semble-t-il chez lui la matrice de toute création. Elle peut ici trouver corps dans l’objet : pattes de chameaux, tissus glanés sur le continent africain, colliers géants, boules de feutres, tasseaux de tente berbères assemblés…

Mohamed Arejdal, Qui tiendra l’Afrique tiendra le ciel, 2019, version 2, installation in-situ à la Galerie Comptoir des Mines à Marrakech, dimensions variables. Courtesy de l’artiste.

En accueillant ce « laboratoire », que décrit si bien Jean-Michel Bouhours dans son texte fondateur «Mohamed Arejdal : le bilan d’une étape décennale » figurant dans le catalogue d’exposition et dont nous livrons quelques extraits (voir pages 6-9), la galerie Comptoir des Mines prouve encore une fois qu’elle opère en marge de la logique d’une galerie traditionnelle, ces lieux où les œuvres sont d’habitude juxtaposées – objets directement consommables– et où il reste compliqué, pour des artistes formés à l’art conceptuel et à l’installation, de montrer leur art . En trois ans d’existence, elle est devenue un lieu d’expérience pour l’art contemporain de ce type, depuis Amine El Gotaibi, Mustapha Akrim, Simohamed Fettaka, jusqu’à Hassan Bourkia qui s’y est réinventé, Khalil Nemmaoui qui s’y est déployé, Larbi Cherkaoui qui s’y est révélé ou Hassan Hajjaj qui s’y est installé, dans cette carte blanche si surprenante et hors norme.

Elle est aussi devenue un lieu incubateur, puisqu’elle a notamment dévoilé le talent de la jeune Mariam Abouzid Souali. Sans oublier les grands artistes tels que Kacimi, Demnati ou encore Abdelkrim Ouazzani, qui avait inauguré les étages de l’immeuble en 2016. Ce dernier a fait figure de père artistique pour Arejdal aux Beaux-Arts de Tétouan, ce dont il témoigne. L’ancien élève se souvient encore d’un moment fondateur vécu en sa compagnie, une performance qui donnera lieu à toutes les autres : « Il était là quand j’ai brûlé mes dernières toiles dans le couloir du 1er étage de l’école. C’était une action-réaction sous couvert de création. Une révolte importante envers une pratique classique et une esthétique basique que l’on m’enseignait et qui ne me satisfaisaient plus. Abdelkrim Ouazzani a réagi avec une certaine colère, mais en même temps avec sagesse. Il a été un véritable ami pour moi, toujours solidaire. »

La galerie Comptoir des Mines semble avoir pris le relai de cette présence bienveillante. Cela révèle ce que doit être une galerie d’art contemporain, et la manière dont elle doit accompagner un artiste. C’est un endroit privilégié dans une grande capitale culturelle comme Marrakech, pour donner crédit à la démesure des artistes, où peuvent se créer les objets d’art contemporain tels qu’on les envisage en 2020. Un lieu de maturation qui a compris l’un des paradigmes de l’art contemporain, à savoir la production, car peu de structures soutiennent les artistes dans leur projets, dans leur concepts les plus fous.

Mohamed Arejdal, Démonstration personnelle, 2019, photographie numérique, work in progress Courtesy de l’artiste et Comptoir des Mines Galerie. Photo: Tarik El Asmar

La galerie donne ainsi naissance à des expositions qui sont des expériences sensorielles, visuelles. Elle fait confiance à des artistes comme Arejdal, qui ose percer le plafond d’un immeuble Art déco, patrimoine de l’ancien quartier colonial de Marrakech. La colonisation, l’artiste la remet justement en question dans cette exposition, au sens le plus noble du terme : interroger, de façon ouverte et sans ressenti préconçu, mais non sans opinion. Dans ce buste de Lyautey par exemple, empaqueté comme un objet qu’on déménage, Arejdal questionne le silence de l’histoire, le poids de cette chape, aussi épaisse que la couverture dont il recouvre cette reproduction d’une sculpture qu’on ne verra jamais. Ceci est loin d’être anodin. Il suppose la transmission interrompue de la mémoire, littéralement « dé-formée » par le matériau, où les informations finissent par se perdre. Hicham Daoudi accompagne ce parcours du local au global, de l’intime à l’universel. Et le public de Marrakech est présent pour comprendre ce cheminement. Nous ne pouvons que vous souhaiter une errance féconde sur cette route, qui nous amène tous à considérer un avenir définitivement tourné vers le Sud.

Marie Moignard et Meryem Sebti

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