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Petite sélection de livres à regarder

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Cinq beaux-livres photo explorent les mémoires intimes et collectives, les rituels d’hier et d’aujourd’hui. Des interrogations mélancoliques ou franchement joyeuses devant le temps qui passe et nous étreint.

Le Cap, entre feu et joie

Le voyage est au cœur du livre Farewell Cape Town qui réunit les photographies noir et blanc de Benjamin Hoffman et les textes de Sophie Bouillon – elle fut à 24 ans la plus jeune lauréate du Prix Albert-Londres pour un reportage au Zimbabwe publié dans la revue XXI. Voyage en bus ou en train, où les rencontres furtives rivalisent avec des paysages maritimes ou rocailleux. Une nature presque hostile où tout menace toujours de s’enflammer, et ce en dépit de la proximité des océans Atlantique et Indien. La ville sud-africaine du Cap se tient en effet « en équilibre sur deux océans », comme la population semble se tenir en équilibre sur deux moments de son histoire politique, ante et post-apartheid. Cet ouvrage sensible montre les blessures récentes d’un pays traversé par des antagonismes urbanistiques entre quartiers modernes et townships. Blessures compensées par un art de l’improvisation permanente, que de jeunes adolescents, apprentis DJ et danseurs, ou des baignades chaotiques, incarnent ici avec ivresse.

Farewell Cape Town, de Benjamin Hoffman et Sophie Bouillon, Éditions de Juillet, 76 p., 266 DH.

Une mémoire absente

« À l’instar de ces photographies qui disent l’impossibilité de l’identification, je construis des souvenirs absents», écrit Carolle Benitah en conclusion de son superbe album photo Jamais je ne t’oublierai. Composé entièrement à partir de photographies familiales chinées à droite et à gauche, sur lesquelles l’artiste appose un à-plat doré prenant des formes géométriques variées, le livre interroge ce que l’artiste définit comme « le mythe familial ». Mythe construit autour de ces moments rituels que sont les mariages, les anniversaires, les fêtes de Noël ou les grandes vacances en bord de mer ou à la montagne. L’oblitération des visages renforce à la fois le processus d’identification et explore le pouvoir de l’oubli : « En masquant une partie de l’image, et plus spécifiquement les visages de ces fantômes, écrit la photographe, je décuple les projections possibles. » Le lecteur referme le livre, apaisé et troublé à la fois par le sentiment irréparable que le temps nous devance toujours.

Carolle Benitah, Jamais je ne t’oublierai, L’Artiere Éditions, 56 p., 700 DH.

Reproduire l’infini

Palmeraies, montagnes de l’Atlas, paysages désertiques à perte de vue. Architectures immémoriales, ruelles de médinas, plages abandonnées. On pourrait croire de prime abord que le livre Maroc, Un temps suspendu regorge d’images d’Épinal, mais ce serait passer à côté du parcours sensible qui nous est ici offert. La photographe franco-espagnole Flore revient, sans insister sur une énième quête du paradis perdu de l’enfance, sur la découverte dans les années 70 d’un Maroc intemporel, à mille lieues des clichés touristiques. En recourant à des couleurs passées et un grain singulier que la photographie numérique nous aurait presque fait oublier, Flore réussit le prodige d’émouvoir durablement le lecteur, à l’image de Frédéric Mitterrand qui, préfaçant cet ouvrage, en souligne la « poésie déchirante ». Entrecoupées de textes empruntés à des écrivaines telles que Colette ou Nedjma, ces photos où la suavité le dispute à la nostalgie prolongent avec splendeur ce « désir de reproduire l’infini » dont parle Anaïs Nin. Un livre à offrir sans crainte de se tromper.

Flore, Maroc, Un temps suspendu, Éditions Contrejour, 96 p., 450 DH.

La beauté accidentelle du monde

Dans son dernier livre Elegy for the Mundane, Gaël Bonnefon a regroupé dix années de travail acharné. Un choix de photographies magnifiques, assemblées souvent en diptyque, axé sur ce qu’il définit dans un entretien accordé au critique littéraire Fabien Ribéry comme « le mécanisme de la chute et ses propositions formelles ». Photos somptueuses et étranges où s’affiche une nette prédilection pour ce que l’artiste définit lui-même comme des « lumières crépusculaires » et des « aubes vertigineuses ». L’un des points forts de ce livre d’une grande poésie visuelle réside dans sa composition musicale qui voit revenir des motifs quasi obsessionnels : forêts angoissantes aux couleurs bleutées, nus surgis de nulle part. Les accidents lors des prises de vue ou des tirages sont parfois exhibés avec une étonnante franchise : ode bouleversante à l’aura que revêt encore pour certains la photographie argentique. Le lecteur est invité à marcher « à la recherche d’intensité et d’éblouissement », pour reprendre les mots de ce photographe dont le travail nous a littéralement subjugué.

Gaël Bonnefon, Elegy for the Mundane, Éditions lamaindonne, 184 p., 480 DH.

Un pays pas si plat

Vierges, travestis, cow-boys, Comanches. Femmes ou hommes masqués hantant des lieux déserts, couples débraillés, crucifix. Fêtes foraines, scènes sadomasochistes, rodéos improvisés de moissonneuses-batteuses. Ce sont de véritables processions païennes, entre carnaval burlesque et défilé nationaliste, que nous donne à voir le photographe belge Simon Vansteenwinckel dans ce livre étrange, fascinant, hors norme qu’est Platteland. Grand Prix du Jury, en octobre dernier, des Nuits photographiques d’Essaouira, sa série couvre dix ans de travail. Plans larges de paysages brumeux à l’atmosphère fantastique alternent avec des cadrages plus resserrés mais tout aussi inquiétants. Les êtres sont à la fois touchants et déjantés, la bière coule à flots, des feux partent sans prévenir. Le choix du noir et blanc et de ce grain magnifique accentue l’impression d’un monde underground et intemporel si loin, si proche, qui a séduit à l’unanimité les jurés des Nuits photographiques.

Simon Vansteenwinckel, Platteland, Éditions Home Frit’Home, 108 p., 350 DH.

Olivier Rachet

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