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Photo : une nouvelle niche à investir ?

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Apparu timidement il y a une dizaine d’années, le marché de la photo montre des progrès significatifs mais tarde encore à connaître le grand boom. Pourtant, les artistes et les acteurs du marché sont là. 

Combien représente le marché marocain de la photographie ? Faute de données, il est difficile d’en évaluer le chiffre d’affaires. Selon Hicham Daoudi, PDG de la CMOOA, il pourrait s’établir entre 5 et 6 millions de dirhams par an. C’est bien peu en regard de la moyenne internationale pour une photographie aux enchères qui est de 100 000 dollars (source Artprice) et du record en vente publique de 9,4 millions de dollars (Jeff Koons, The New Jeff Koons, 1980, vente Sotheby’s New York du 14 mai 2013).
 

Pourtant, les photographes marocains bénéficient aujourd’hui d’une forte reconnaissance sur la scène internationale. La série La Salle de Classe de Hicham Benohoud vient d’être acquise par la Tate Modern, tandis que Hassan Hajjaj expose aux USA, à Dubaï et plus récemment à Paris dans le très branché magasin Colette. L’œuvre de Leila Alaoui, victime tragique du terrorisme, est devenue iconique et la gestion de son œuvre a été prise en main par la Galleria Continua.
 

Un marché expérimental

Au Maroc, le marché est encore assez réduit. Ses balbutiements remontent aux années 1990 avec la Galerie Meltem fondée par Nawal Slaoui. L’actuelle directrice de Cultures Interface a été la première à proposer de la photographie contemporaine avec Lamia Naji, puis Hicham Benohoud, Souad Guennoun et Mounir Fatmi. Mais c’est véritablement en 2006 avec le lancement de la Galerie 127 à Marrakech, seule galerie marocaine exclusivement consacrée à la photo, que le marché a commencé à s’ancrer. Difficilement… « Nous sommes encore au stade «expérimental», note sa fondatrice Nathalie Locatelli. Un marché «véritable» n’existera que lorsque les institutions donneront une vraie place à la photographie, que les éditeurs lui consacreront des livres et que les lois permettront une défiscalisation des achats d’œuvres d’art, tant pour les entreprises que pour les particuliers. »
 

Depuis 2009, les galeries casablancaises se sont mises aussi à la photo. La Galerie Shart présente régulièrement le travail de Khalil Nemmaoui, L’Atelier 21 celui de Majida Khatari. Le programme « Mastermind » de la GVCC montre de plus en plus de jeunes photographes et la Loft Art Gallery vient de produire la dernière série de Hicham Benohoud, The Hole (2016).

Même si le marché marocain souffre encore de l’absence de grosses pointures comme Touhami Ennadre, les ventes aux enchères cherchent à stimuler les acheteurs en englobant la photo dans le giron de l’art contemporain. Le 30 avril dernier, la CMOOA proposait 35% de photographies sur les 105 lots de sa vente consacrée à la création marocaine contemporaine. Chiffre encourageant, plus des deux tiers des lots ont trouvé preneur, pour un total de 1,2 millions de dirhams, avec des adjudications comprises entre 14 000 et 160 000 dirhams.
 

Les valeurs sûres  

Avantagés par leur double ancrage, les artistes de la diaspora marocaine tiennent le haut du pavé. Lalla Essaydi caracole en tête : la Galerie Tindouf de Marrakech présentait en 2013 sa série Harem (2009) dont un tirage grand format avait battu un record d’enchères de 541 560 dirhams chez Christie’s Dubaï le 17 avril 2012. Vient ensuite le « chouchou médiatique » Hassan Hajjaj, dont les moyens formats s’acquièrent à partir de 62 500 dirhams pour une édition 1/10, quand ses grands formats sont proposés à 217 400 dirhams pour un tirage numéroté 3/5. Mustapha Azeroual est un nouveau visage sur lequel il faudra compter. En attendant sa première expo solo au Maroc en 2017, Cultures Interfaces a vendu en 2015 un tirage de sa série Radiances (2014) pour 20 000 dirhams.
 

Au Maroc, le doyen du marché est probablement Daoud Aoulad Syad. À la Galerie 127, on peut acquérir ses tirages argentiques vintage (datant des années 1980, une denrée rare sur le marché marocain) à partir de 15 000 dirhams. Un investissement tout a fait accessible. Hicham Benohoud est l’un des plus collectionnés. Il y a cinq ans, ses moyens formats de la série La Salle de Classe partaient pour un peu plus de 20 000 dirhams (vente CMOOA du 26 novembre 2011). Aujourd’hui, ils s’échangent contre quasiment le double de leur valeur à 36 000 dirhams (vente CMOOA du 30 avril 2016). De la même génération d’artistes, on retient Khalil Nemmaoui, dont les grands formats ont beaucoup de succès. Ses premières éditions s’achètent à la galerie Shart aux alentours de 40 000 dirhams. Autre photographe casablancaise, Lamia Naji a construit une belle carrière à l’international. Pour ses grands formats, on devra débourser à partir de 45 000 dirhams.
 

Sur qui faut-il miser ?

Si le Maroc regorge de jeunes photographes talentueux, il est parfois difficile de savoir lesquels feront carrière. Contrairement à leurs aînés souvent obligés de passer par l’étranger pour se lancer, les jeunes photographes peuvent aujourd’hui émerger à l’intérieur de leurs frontières. Le marché photo marocain est donc l’occasion d’investir sur des talents avant que leurs cotes ne soient boostées par une reconnaissance internationale.

Certains sont déjà présents dans des galeries qui ne lésinent pas sur la qualité des tirages qu’elles exposent : un bon indice de confiance pour miser sur ces jeunes pousses. « L’écurie » de la Galerie 127 à Marrakech est certainement la plus prometteuse. Hicham Gardaf est l’un des seuls jeunes photographes qui travaillent à l’argentique au Maroc et il expose déjà à l’international. On trouve ses moyens formats à partir de 10 000 dirhams quand ses grands formats s’achètent désormais à 36 000 dirhams en salle des ventes (CMOOA, 30 avril 2016). Safaa Mazirh est aussi très convoitée à l’étranger. Les tirages de sa première série qui avait fait sensation lors de la Biennale de Marrakech 2014 sont proposés à 55 000 dirhams. La jeune Rim Battal, installée à Paris et représentée à Marrakech par la Voice Gallery, est un autre talent à suivre. L’une de ses premières séries photo sur le mariage a été remarquée dans l’exposition inaugurale du MMVI et se vend aujourd’hui à 33 000 dirhams.
 

Autre vivier à Casablanca, la GVCC propose de jeunes talents à des prix très accessibles. Lors de l’exposition « Mastermind » au printemps 2016, on pouvait acquérir les tirages délicats de Yasmine Hatimi pour 5 000 dirhams ou encore la sulfureuse série Too young to get married (2012) de Mehdi Jassifi pour 11 000 dirhams. Enfin, à Tanger, les expositions photo de la Librairie des Insolites sont à surveiller de près. Stéphanie Gaou y a construit une réputation de dénicheuse de talents et présentait cet été la première expo solo du jeune Zakaria Wakrim, déjà repéré sur internet. Ses tirages sur papier fine art encadrés étaient proposés entre 1 900 et 5 100 dirhams. 

Si les collectionneurs marocains sont encore assez méfiants vis-à-vis de la photographie, c’est qu’ils se demandent s’il est bien raisonnable de craquer sur une photo alors qu’elle est tirée à plusieurs exemplaires et de surcroît reproductible. Comme l’observe Nawal Slaoui, « beaucoup achètent pour investir et, pour eux, il n’y a pas de meilleur investissement qu’une peinture ». En fait, ces réticences proviennent pour une large part d’une méconnaissance de ce qui fait la valeur d’une photographie. Tout d’abord, qu’il soit argentique ou numérique, « aucun tirage ne peut être identique dès lors qu’interviennent la chimie et la main humaine », souligne Nathalie Locatelli. 
 

Alors, quelles garanties pour l’acheteur ? Tout d’abord le certificat d’authenticité qui peut être émis par l’artiste, par ses héritiers après son décès, par un galeriste, un marchand, un commissaire-priseur ou un expert, et qui engage juridiquement son auteur. La facture émise par la galerie apporte également une garantie à l’acheteur, de même que la description du lot dans le catalogue d’une vente engage la responsabilité du commissaire-priseur. Mais la meilleure garantie pour les acheteurs reste l’achat auprès d’un intermédiaire qui a pignon sur rue. Une galerie d’art apporte sa notoriété et contribue à la solidité de la cote d’un photographe.
 

Y a-t-il des collectionneurs dans la salle ? 

Le véritable frein du marché photo au Maroc est peut-être l’absence de collectionneurs spécialisés. Seul un couple d’acheteurs est reconnu comme de véritables amateurs de photographie. Installés au Maroc, ils collectionnent en binôme depuis une dizaine d’années et comptent dans leur collection des valeurs sûres comme Khalil Nemmaoui ou Lamia Naji, aux côtés de grands noms de la photo internationale, comme Martin Parr et Harry Gruyaert, à qui ils ont même passé commande pour un projet photo dans leur maison située dans les montagnes de l’Atlas.
 

En ce qui concerne les institutions, la Fondation Alliances est la plus engagée dans la photographie. Outre le prix de la Chambre claire qui encourage la jeune génération, la collection du futur MACAAL compte des acquisitions comme Benohoud, Nemmaoui, Leila Alaoui ou Majida Khattari aux côtés de grands noms de la photo africaine comme Malick Sidibé. Comme le souligne Hicham Daoudi, « si le Musée Mohammed VI achetait de la photographie de façon visible, cela créerait une dynamique… ».
 

Pour le reste, les acheteurs de photo au Maroc fonctionnent au coup de cœur, mais aussi parce que la qualité du tirage a forcé leur admiration. Ainsi le très grand format de plus de 2 mètres de long du jeune Hassan Ouazzani a trouvé acquéreur à 32 000 dirhams (CMOOA, 30 avril 2012), tout comme un nu féminin de Deborah Benzaquen, un tirage vertical presque à échelle humaine qui est parti pour 22 000 dirhams (CMOOA, 30 avril 2012). Pour Hicham Daoudi, « un travail trop conceptuel ne marchera pas. Le dispositif photographique doit apporter quelque chose de rare, de précieux pour convaincre les acheteurs marocains ». Peu d’entre eux voient la photo comme un investissement. Cependant, Yasmina Naji de la Kulte Gallery à Rabat remarque : « Des artistes comme François-Xavier ou Aida Muluneh, en partenariat avec la Galerie 127, ont connu un énorme succès. Ces artistes ont déjà une cote sur le marché international et les collectionneurs marocains y sont sensibles. »
 

Marie Moignard et Michel Durand-Meyrier

Parisphoto 10 – 13 Novembre 2016

Atsoupé, 1986, Sans Titre, 2014, aquarelle sur papier, 40 x 50 cm © Fondation Bandjoun Station
Atsoupé, 1986, Sans Titre, 2014, aquarelle sur papier, 40 x 50 cm © Fondation Bandjoun Station
Hana Tefrati, Desire Path, 2017. Courtesy de l’artiste et Mint Works
Hana Tefrati, Desire Path, 2017. Courtesy de l’artiste et Mint Works
Sans titre, série Chroniques américaines, 2014 © Courtesy Khalil Nemmaoui
Sans titre, série Chroniques américaines, 2014 © Courtesy Khalil Nemmaoui
lamia Naji, OneVoice, Tirage Numérique Au Jet D'encres Sur papier, Hahnemuhle Fine Art Baryta, 95x135cm, 2018
lamia Naji, OneVoice, Tirage Numérique Au Jet D'encres Sur papier, Hahnemuhle Fine Art Baryta, 95x135cm, 2018
lancri3
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Saïd Affifi, Sans Titre, 2014, dessin au fusain sur papier coton, 70 x 100 cm - estimation 32 000 - 35 000 DH
Saïd Affifi, Sans Titre, 2014, dessin au fusain sur papier coton, 70 x 100 cm - estimation 32 000 - 35 000 DH
prix 5 000 DH Yasmine Hatimi, La Chiamata, 2016, tirage numérique sur papier fine art, 40 x 60 cm © Yasmine Hatimi, Courtesy GVCC
prix 5 000 DH Yasmine Hatimi, La Chiamata, 2016, tirage numérique sur papier fine art, 40 x 60 cm © Yasmine Hatimi, Courtesy GVCC
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seisme maroc

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