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[Portrait] James Barnor, pionnier discret de la street-photography africaine

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Pionnier de la photographie au Ghana, James Barnor a passé 60 ans de sa vie à immortaliser l’effervescence de sociétés en mutation. Son œuvre, qui a marqué l’histoire de la photographie    africaine, fait actuellement l’objet d’une remarquable rétrospective à Londres. 

« La photographie a été toute ma vie, et donc je suis bien incapable de la définir », s’amuse un James Barnor à l’œil vif et à la barbe blanche qui trahit ses 91 printemps. S’il est désormais retraité dans la paisible localité de Brentford, au Royaume-Uni, la vie de cet éternel passionné a été d’une richesse fascinante, jalonnée d’une inlassable quête d’images. Entre deux continents et deux pays, entre Ghana et Royaume-Uni, Barnor n’a eu de cesse de capturer des instants fugaces de sociétés en pleine mutation. La Serpentine Gallery à Londres ne s’y trompe pas. Elle lui consacre une rétrospective majeure composée de plus de 250 clichés dont 70 totalement inédits, recouvrant près de 60 années d’une carrière que le jeune Barnor, natif d’Accra en 1929, a épousé à la faveur d’heureux concours de circonstances. Pour la galeriste Clémentine de la Féronnière, qui représente l’artiste depuis 2015, « il est impossible de résumer l’œuvre de Barnor, tant son parcours est singulier et complexe ». Tantôt pionnier, à l’affût de nouvelles expériences et découvertes, tantôt apprenti et chantre de la débrouille, il traverse les époques et témoigne de formidables bouleversements historiques, appareil au poing. Et tout a commencé avec un petit Kodak Baby Brownie !

©James Barnor

Du studio à la rue

Ce premier appareil, offert par Emanuel M. Odonkor, un ancien collègue instituteur – le tout premier métier de Barnor –, lui ouvre les yeux sur l’univers de la photographie. Il raconte qu’il ignore encore aujourd’hui pourquoi ce dernier lui a fait un tel présent. « Peut-être a-t-il perçu que je portais la photographie dans mon cœur et dans ma tête, sans que je n’en ai réellement conscience moi-même », avance l’artiste. Cette opportunité, il l’a rapidement consolidée en rejoignant le studio photo de son oncle, chapeauté par son cousin et mentor J.P.D. Dodoo qui l’a initié à une pratique artisanale mais rigoureuse. Plus tard, il fait la rencontre de Julius Aikins, un autre proche de la famille, également photographe autodidacte, qui l’abreuve de références plus modernes et artistiques. C’est le déclic pour Barnor. Il ouvre alors, dans les années 1950, « Ever Young », son premier studio dans le quartier de Jamestown à Accra.

D’un naturel loquace, avenant et extrêmement empathique, Barnor maîtrise l’art de mettre sa clientèle à l’aise. Les séances sont animées, sur fond de musique et de conversations endiablées. Rapidement, le studio devient un lieu en vogue et un point de ralliement de la jeunesse ghanéenne. Mais, la curiosité de Barnor le pousse à explorer de nouvelles voies. « Contrairement aux autres photographes de sa génération, tels que Seydou Keïta, Van Leo, Rashid Mahdi ou plus tard Malick Sidibé, James Barnor sort dans la rue et ne se contente pas du studio », précise Clémentine de la Féronnière, qui souligne l’expérience multiculturelle de Barnor. Il est happé par l’énergie de la street photography et galvanisé par l’atmosphère de ce Ghana qui marche vers son indépendance. Un air de renouveau, où le côté « Géo Trouvetou de Barnor et son art de la débrouille » s’expriment avec grâce, ajoute la galeriste, avant de rappeler que Barnor développait certains clichés dans des barattes à beurre.

Patrick Chenewry et Fred Swaniker, Accra, c. 1980. Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière

Le tournant londonien de « Lucky Jim » 

Sa photographie naturelle et décomplexée lui vaut d’être recruté par le quotidien ghanéen Daily Graphic, qui fait de Barnor son premier photojournaliste. Il fait par la suite la connaissance de James Bailey, le rédacteur en chef du très influent Drum Magazine – journal d’actualités et de mode, anti-apartheid –, pour lequel il nourrira une ineffable amitié. Les couvertures de sujets d’actualités s’enchaînent. Barnor est sur tous les fronts en cette période historique pour le Ghana. Les audacieux portraits de mode et de personnalités n’ont d’égal que l’intimité des relations qu’il tisse avec ses sujets. Le champion de boxe de la Côte d’Or, Roy « The Black Flash » Ankrah, lui ouvre les portes de sa vie de famille, tandis que le Premier ministre ghanéen Kwame NKrumah (1957 à 1960), fervent défenseur de l’indépendance et du panafricanisme, l’invite au « Castle », siège du jeune gouvernement ghanéen. Pourtant, « malgré cette proximité avec des personnages aussi politisés et engagés, Barnor a su rester apolitique. C’est en partie ce qui rend son travail universel », déclare Clémentine de la Féronnière. Barnor, qui se surnomme volontiers « Lucky Jim » [Jim le Chanceux, ndlr] résume modestement ses rencontres fondatrices et sa remarquable trajectoire à sa bonne fortune.

Changement de décor. Deux ans après l’indépendance du Ghana, Barnor troque Accra pour Londres en 1959. Selon l’historienne de l’art Damarice Amao, « son départ est en partie motivé par le désir de sonder cette modernité fascinante qui prend forme dans la musique, la mode et les arts, et que complètent une libéralisation des mœurs inédite ainsi qu’un multiculturalisme modifiant progressivement le paysage londonien et celui des grandes villes britanniques », écrit-elle dans le livre qu’elle lui a consacré, James Barnor, The Roadmaker.

S’il capture derrière son objectif l’air du « Swinging London » des années 1960 et son exubérante diaspora africaine, il saisit également l’opportunité de poursuivre une formation photographique académique. Il intègre ainsi le Medway College of Art, qui lui permet d’approfondir et compléter ses connaissances. Durant ces années de bouillonnement culturel, il croise la route de Dennis Kemp, commercial chez Kodak dans le Kent, qui l’encourage à de nouvelles expériences photographiques. En résulte, selon Clémentine de La Féronnière, des « clichés insolites pour la période » qui coïncident avec un renouveau de la photographie de mode.

Coiffure traditionnelle ghanéenne, Studio X23, Accra, c.1970s. Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière

Changement de décor. Deux ans après l’indépendance du Ghana, Barnor troque Accra pour Londres en 1959. Selon l’historienne de l’art Damarice Amao, « son départ est en partie motivé par le désir de sonder cette modernité fascinante qui prend forme dans la musique, la mode et les arts, et que complètent une libéralisation des mœurs inédite ainsi qu’un multiculturalisme modifiant progressivement le paysage londonien et celui des grandes villes britanniques », écrit-elle dans le livre qu’elle lui a consacré, James Barnor, The Roadmaker.

S’il capture derrière son objectif l’air du « Swinging London » des années 1960 et son exubérante diaspora africaine, il saisit également l’opportunité de poursuivre une formation photographique académique. Il intègre ainsi le Medway College of Art, qui lui permet d’approfondir et compléter ses connaissances. Durant ces années de bouillonnement culturel, il croise la route de Dennis Kemp, commercial chez Kodak dans le Kent, qui l’encourage à de nouvelles expériences photographiques. En résulte, selon Clémentine de La Féronnière, des « clichés insolites pour la période » qui coïncident avec un renouveau de la photographie de mode.

Miss Sophia Salomon, fille du propriétaire de James Barnor, Kokomlemle, Accra, 1973. Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière

Libéré des contraintes 

Barnor a soif de découvertes et d’expériences. Tout en multipliant les collaborations et les covers avec la publicité et la presse – Drum Magazine en tête – , et forgeant ainsi « les bases de son langage photographique » selon Damarice Amao, il se laisse séduire et recruter par la société Agfa-Gevaert. Auprès de ce géant du matériel photographique, il est initié au traitement de la photographie couleur et devient représentant commercial pour la marque à son retour au Ghana en 1969. Pour Clémentine de La Féronnière, s’ouvre alors « l’une des périodes les plus intéressantes de son travail, dans les années 1970-1980 ». Et pour cause, Lucky Jim délaisse Agfa-Gevaert quelques années plus tard, pour ouvrir un second atelier en 1973 : le studio X23, où il s’exprime sans contraintes. « Fort d’un apprentissage mixte, entre Londres et Accra, entre académique et instinctif, il développe une approche photographique beaucoup plus libre », précise la galeriste. Il s’accapare la rue, s’appuie sur la « narrativité du photoreportage, sans oublier l’audace nerveuse de la photographie de mode », indique Damarice Amao. Ces expériences « sont mises au service du portrait documentaire, devenu la colonne vertébrale de son œuvre ».

Séance photo avec un musicien, Salaga Market, Accra, c. 1974–1976. Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière

Durant sa longue carrière, James Barnor accumule des kilomètres de pellicules et d’images, témoins silencieux d’événements historiques retentissants, qui lui valent d’être approché par l’Unesco pour sa rubrique « Memories of the World ». Bien qu’un travail de collecte considérable ait d’ores et déjà été réalisé par la galerie londonienne Autograph ABP, dans le cadre de l’exposition itinérante « Ever Young » (2010-2016), celle-ci n’a exploré l’œuvre de Barnor que sous le prisme des mouvements historiques entre 1948 et 1968. « Il s’est alors retrouvé avec d’innombrables boîtes de négatifs inexploités », raconte Clémentine de La Féronnière. Débute ainsi une franche collaboration entre la galerie parisienne et l’artiste suivi d’un titanesque travail d’archives et d’indexations. « En 2017, les premiers négatifs ont été rapatriés à Paris et un premier protocole de numérisation est appliqué. Mais ça n’a pas été évident de convaincre Barnor, inquiet de voir ses fragments d’histoire quitter les cartons », évoque la galeriste, admirative devant la « mémoire encore intacte » du photographe qui restitue « le contexte et l’identité de chaque personne photographiée », dans des « éclats de rires sonores ».

Selon Damarice Amao, « Barnor témoigne d’un humanisme qui ne se limite pas à la forme et qui s’exprime à travers son souci de conserver la mémoire de ceux qui sont passés devant son objectif. La préservation matérielle actuelle de ses archives photographiques est ainsi couplée à son effort constant pour exhumer les histoires derrière l’apparente évidence des visages de cette nation ghanéenne ». Pendant près de 60 ans, Barnor a cadré, shooté, développé, tiré, rincé, sélectionné comme une évidence. Il livre aujourd’hui un inestimable héritage.

Houda Outarahout

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