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Portrait : Khalil Nemmaoui, photographe – poète du silence

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Après une première participation en 2011, Khalil Nemmaoui présentera son travail à la 12e édition des Rencontres de Bamako en novembre prochain. Nous avions brossé son portrait en mai 2017 alors qu’il exposait à Marrakech à la galerie Comptoir des Mines. Flash-back.

Khalil Nemmaoui entretient un rapport fécond avec le temps long de la vie. Celui qui inexorablement engage un dialogue de l’homme et de la nature. Celui qui crée de l’absence et de la solitude. Celui qui, dans son itinéraire d’autodidacte formé au photojournalisme au début des années 1990, l’a fait cheminer de la photo de rue vers le paysage, du bruit vers le silence, de l’observation vers la contemplation. Celui enfin de ses déambulations, proches de l’errance, en attente d’un état de grâce qu’il capture… ou pas. Car il n’est pas de ces photographes toujours munis de leur caméra, à l’affût de ce qui advient. C’est la frustration de ne pas tout photographier qui est un des moteurs de son énergie créatrice. « L’absence d’appareil sur moi en permanence me permet de me rendre compte de toutes les photos que je ne fais pas. Cette frustration cultive mon regard. Même quand je me balade, je peux rester pendant trois jours sans prendre une photo. Je me mets en prédisposition, avec un regard qui s’adapte à la situation vers laquelle je vais. Et puis à un moment ça me prend. Mais j’en fais deux ou trois, pas plus ». Les lieux importent moins que les saisons, qui lui offrent des ciels chargés, tumultueux, dans lesquels capturer des modifications de lumière aussitôt disparues, perçues comme des « cadeaux ». Reste enfin le temps long du deuil d’une série achevée. « Que faire après une série aussi forte que La maison de l’arbre ? Ce n’est que le temps qui te permet de te détacher d’un travail pour aller dans un autre ». Réalisée en 2010, cette photographie qui traque en périphérie de Casablanca l’arbre et la maison confrontés dans leur isolement, avait reçu le Prix de l’Organisation internationale de la francophonie lors de l’édition 2011 des Rencontres de Bamako.

Sans titre, série La Maison de l’arbre, 2010. Courtesy Khalil Nemmaoui et Galerie Shart

Khalil Nemmaoui ne se définit pas comme un académique, lui qui a tout appris de la photo sur le terrain, à force d’expérimentations successives. Il ne théorise pas son approche. Il procède à l’intuition – une intuition au demeurant assez obscure, relevant du mystère. « Je ne suis animé que par le doute, l’incertitude, qui me mettent dans un état d’alerte et de fébrilité d’où surgit un fil conducteur qui va très vite, plus vite que moi. Tout se tisse malgré moi. Le silence par exemple, je ne l’ai pas cherché, il s’est imposé, à l’usure, après que j’ai fait de la street photo et du portrait. Et aujourd’hui je ne trouve mon salut que dans ce silence-là »

Totem & Tabou, série en cours, 2016 Courtesy Khalil Nemmaoui

PRÉSERVER LE MYSTÈRE 

Sans qu’il l’intellectualise, son œuvre montre un rapport totalement décomplexé à l’histoire coloniale, nationaliste et postcoloniale. Jamais elle ne s’encombre d’un référent identitaire. Sa vision du paysage est universelle et en cela porte loin, très loin au-delà des questions d’identité culturelle. Néanmoins, son imaginaire est fécondé d’influences majeures : celles du velouté de la peinture flamande ; celles aussi d’une culture artistique principalement américaine qui, de William Eggleston à Stephen Shore, d’Arthur Miller à Jack Kerouac et Paul Auster, de Wim Wenders à Jim Jarmusch, le guident vers l’anodin, la couleur et le cadre posé désignant les choses. « On retrouve ça dans le cinéma de la Nouvelle Vague. La scène du petit-déjeuner, on l’a tous vécue. Mais filmée, cadrée, elle dit tout ce qu’il se passe dans ta tête pendant que tu touilles ton café. Ma prise de vue fonctionne comme ça. Je passe beaucoup de temps à composer, car à un mètre près le cadre dit autre chose. Et aussi je suis très attentif à la symétrie. J’aime le centre. Quand je photographie un arbre, il est au milieu ». De cette combinaison de sincérité émotionnelle et de contrôle du cadre travaillé au 4/5e , surgissent des paysages qui, nommés, identifiés, exposés, nous deviennent familiers. Qui ne prête attention désormais à une maison de l’arbre ? C’est là la force de Khalil Nemmaoui : on finit par voir comme lui. Sans rien imposer de dogme, son écriture se révèle une évidence. 

Sans titre, série Chroniques américaines, 2014 Courtesy Khalil Nemmaoui

Premier « grand format » que le Comptoir des Mines attribue à un artiste, l’exposition déroule le fil de ses différentes séries dédiées au paysage : La Maison de l’arbre, Equilibrium (2013), qui décrit la fragilité des équilibres, Chroniques américaines (2014), qui se nourrit d’errance et de solitude, et enfin, non titrée encore, sa dernière série initiée à 25 %, qui défriche les lieux où ont été abandonnées des décors de tournage – des paysages fantomatiques, mystérieux, envahis de silence, de désarroi, de mélancolie. « J’aime les photos qui posent des questions, sans apporter de réponse. L’histoire de ces décors, peu importe. Je veux que ces lieux gardent leur mystère. » Au total, une trentaine de photographies où se repèrent les mêmes codes – le cadre posé, l’absence, le silence, la contemplation, l’ambiguïté, la fragilité des équilibres, les couleurs désaturées, la recherche de centre – sont présentées à Marrakech dans un format inhabituellement grand (1,10 x 1,40 m ou 1,60 m), permettant de reproduire les paysages tels qu’il les a vus et photographiés. Un défi de plus, dans une œuvre déjà réputée pour l’extraordinaire qualité de ses tirages, d’autant plus intéressante que le projet de Khalil Nemmaoui est aussi de s’intéresser au petit format, lui qui, à 50 ans tout rond, défend pêle-mêle la suppression du klaxon, le droit à la paresse et l’honnêteté vis-à- vis de soi-même tant la photographie peut se faire l’outil de la vérité comme du mensonge. 

Corinne Cauvin

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