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Mohamed Hamidi, portrait d’un timide audacieux

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Figure discrète de l’École de Casablanca, le peintre Mohamed Hamidi revient sur le devant de la scène à la faveur des recherches actuelles sur les modernités post-indépendance. Retour sur l’itinéraire singulier et marginal d’un peintre amoureux de la couleur et du corps féminin, à l’occasion de la rétrospective que lui consacre la Fondation CDG à Rabat.

Qualifiées d’historiques par Michel Gauthier, conservateur du patrimoine au Centre Pompidou, les toiles Harmonie et Marie, peintes par Mohamed Hamidi en 1971, font une entrée fracassante dans la collection de l’institution parisienne. « Ces œuvres valent par leur singularité, explique-t-il. Leur intégration dans notre collection répond à notre projet de donner une image plurielle de ce qu’ont été les modernités dans les années 60 et 70. » De 1967 à 1975, Hamidi enseignait à l’École des Beaux-Arts de Casablanca dirigée alors par Farid Belkahia et a participé, en compagnie de Melehi, Belkahia, Hafid, Ataallah et Chebaâ, à l’exposition-manifeste de la place Jamaâ El Fna de 1969. S’il se rattache à l’esthétique de l’École de Casablanca marquée par l’abstraction géométrique et l’influence du hard edge, sa peinture « se radicalise en allant vers des référents figuratifs, notamment sexuels », ajoute Michel Gauthier.

Le rapprochement est souvent esquissé avec l’abstraction très organique de la peintre libanaise Huguette Caland avec laquelle il partage une même sensualité du trait et des lignes souvent courbes. « Symboles de vie et d’énergie » pour l’historienne de l’art Toni Maraini, ces motifs érotiques se retrouvent aussi dans l’œuvre de Belkahia qui a « beaucoup travaillé autour des symboles érotiques et des références africaines traduites en formes et signes iconiques. » Pour Hicham Daoudi, qui a conseillé la CDG pour l’exposition, Hamidi est « celui qui dit silencieusement qu’il est interdit d’interdire. Il est absolument amoureux du corps féminin et a beaucoup d’amour à donner. » La passion des corps n’a d’égale que celle des formes chez ce passionné d’architecture qui en évoque la simplification formelle en termes de sensualité : « Dans l’architecture, un mur en soutient toujours un autre. C’est comme pour les corps ».

Peindre amoureusement

Contrairement à nombre de ses contemporains, Hamidi demeure celui qui n’abandonnera jamais complètement la figuration et restera toujours passionnément hanté par la couleur. Avant même de découvrir la technique de la fresque dans l’atelier de Jean Aujame aux Beaux-Arts de Paris, où il arrive en pleine guerre d’Algérie, il se souvient avoir représenté dès sa plus tendre enfance ses héros de prédilection sur des murs. « L’acrylique ou le vinyle sont sans âme pour moi, explique-t-il. Je travaille toujours avec des pigments que je prépare moi-même. » S’il a réalisé, selon Toni Maraini, « de puissantes fresques murales », la peinture à l’huile a toujours eu ses faveurs jusqu’à aujourd’hui. « Marier les couleurs », tel est le défi que se lance le peintre depuis ses débuts. En l’écoutant définir ce que représente pour lui la couleur, on s’étonne à peine de l’entendre parler là encore  d’amour et d’érotisme : « La couleur n’est jamais gratuite, explique-t-il. C’est un souffle et un son, comme une sorte d’accouplement. »

À la recherche de l’accord parfait comme en musique, l’artiste ajoute, non sans malice, qu’il « s’agit toujours de faire chanter les cinq sens à la fois. » Définition parfaite et réinventée, aurait écrit Rimbaud, de l’amour. « Lorsqu’une entente se produit entre deux couleurs, c’est absolument merveilleux », précise-t-il encore en insistant sur la nécessité de « marier le vide et le plein ». On est loin souvent de l’abstraction géométrique à laquelle, par paresse, on s’évertue parfois encore de rattacher ce peintre dont l’univers est plus foisonnant qu’il n’y paraît. En témoigne l’importance dans son œuvre de motifs figuratifs récurrents tels que l’oiseau, l’œuf, la vulve ou le sexe masculin qui rappellent la primauté chez lui du dessin et qui tirent sans doute leur origine de l’influence de l’art africain dans les années d’après-guerre.

Mohamed Hamidi, Sans titre, 1971, 100 x 65 cm Collection privée, courtesy de l'artiste.

Un langage iconique

Hamidi se souvient à cet égard avec nostalgie de ces déambulations parisiennes en compagnie de Cherkaoui, son mentor qui lui a fait découvrir, à son arrivée à Paris, les galeries de la rue de Seine. « Cherkaoui me déconseillait alors d’aller aux Beaux-Arts et me conseillait plutôt l’Institut national des métiers d’art », sans doute pour des raisons de professionnalisation. « La découverte de l’art et des symboles africains, reconnaît Toni Maraini, a beaucoup compté dans l’élaboration du langage pictural assez iconique qui est le sien. » Jacques-Antoine Gannat, qui lui consacrait en 2018 une rétrospective « Zoom sur une mémoire tatouée » à la Loft Art Gallery, ajoute qu’il « a introduit une africanité à un moment où cela n’était pas d’actualité ». Plus que tout, la figure tutélaire de Picasso, dont un portrait peint par Hamidi trône dans le salon de son atelier où il nous reçoit chaleureusement, reste centrale dans son œuvre.

Les travaux qu’expose la Fondation CDG à Rabat, parmi lesquels se trouvent toiles, dessins, affiches et archives personnelles de l’artiste, permettront de s’en faire une idée, à l’image de ces nus féminins peints à la gouache au début des années 70 ou de ces toiles des années 90 où des oiseaux-phallus s’inscrivant dans une cosmologie de couleurs flamboyantes ne sont pas sans rappeler les colombes peintes par le peintre catalan. Et si, dans la plus grande discrétion et en toute modestie, Hamidi avait réussi le prodige de célébrer à sa façon les douces demoiselles de son imagination ?

Olivier Rachet

 « Hamidi, artiste affranchi », Fondation CDG, Rabat, du 19 décembre au 29 février 2020.

Composition, 1971, technique mixte sur panneau, 103 x 67 cm. Collection privée.
Mohamed Hamidi, Sans titre, 1964 ,echnique mixte sur carton, 76 x 112 cm. Atelier de l'artiste ©AHM
Mohamed Hamidi, Nu allongé, lithographie
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