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[Story] Artiste et femme, encore un combat à mener

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Alors que les revendications féministes gagnent en puissance et visibilité, la question des femmes artistes continue d’être abordée en des termes maladroits. Au-delà des manifestations de circonstance, une génération pose intelligemment des questions liées aux différentes formes de discrimination. 

Un hashtag vient de resurgir sur les réseaux sociaux : #Stop490, en référence à l’article du code pénal criminalisant les rapports sexuels hors-mariage. En 2019 déjà, à l’occasion de l’arrestation de la journaliste Hajar Raissouni pour avortement illégal, le collectif 490 avait vu le jour, initié par Leïla Slimani et Sonia Terrab. Plusieurs femmes artistes et de la société civile en appelaient à l’abrogation d’un article que beaucoup jugent rétrograde.

Installation de Katharina Cibulka pendant la Biennale de Rabat consacrée exclusivement aux femmes artistes. Courtesy Katharina Cibulka

Des tribunes ou manifestes pour les droits des femmes émaillent régulièrement l’actualité marocaine et les plasticiennes se retrouvent souvent en tête de proue de ces revendications. Dans le milieu de l’art, les chiffres parlent d’eux-mêmes : parmi les 100 artistes contemporains les plus recherchés dans le monde, 12 sont des femmes, rapporte Artprice en 2019.  Une situation qui tend pourtant à s’améliorer : dans ce classement, les artistes femmes étaient deux fois moins nombreuses, il y a dix ans. « Artiste femme, ça complique les choses », reconnait la plasticienne Amina Benbouchta, signataire du manifeste du collectif 490.

Ce n’est pas faute de mettre en avant, dans des expositions à l’angle parfois discutable, une forme de discrimination positive qui ne dit pas son nom. On se souvient de la Biennale 100% féminine de Rabat initiée par le commissaire d’exposition Abdelkader Damani. Critiquée en sourdine avant même son lancement pour son parti pris iconoclaste, la réussite d’une manifestation qui avait rassemblé des artistes majeures de la scène contemporaine comme Safaa Erruas, Ghada Amer, Etel Adnan ou Mona Hatoum, avait suscité paradoxalement d’autres interrogations concernant la Carte Blanche attribuée à un homme, Mohamed El Baz.

Fatima Mazmouz, BOUZBIR UTERUS, 50-70cm, 2018, Archive carte postale Marcelin Flandrin 15. Casablanca, Le quartier réservé - Type de jeune marocaine. ©Fatima Mazmouz, courtesy galerie127.

Si donner de la visibilité à des artistes femmes est toujours louable, à l’heure où l’on assiste à une accélération historique des revendications féministes, certains s’interrogent sur le bien-fondé d’expositions exclusivement féminines, lorsque l’appartenance sexuelle constitue le plus petit dénominateur commun permettant de regrouper des artistes. La Galerie de la Banque Populaire entérine aujourd’hui à Rabat, à l’occasion de la journée consacrée aux femmes, ce choix à travers l’exposition Peinture au féminin dont l’une des trois artistes – la plasticienne Fatime-Zahra Morjani – entre difficilement dans cette case.

Les avis se polarisent et les expos “genrées” portent en elles l’horrible soupçon de la ghettoïsation des femmes artistes. « Aussi paradoxal que cela puisse être, ce ghetto, qui offre une visibilité à la production féminine, est une étape nécessaire », confiait Najia Mehadji lors de l’exposition « Femmes, artistes marocaines de la modernité » (2016). « Force est de constater que, depuis les années 1980, le dépassement de cette étape n’est toujours pas acquis ».

Amina Benbouchta, Esquisse pour l'installation le Banquet, 2019

Your body is a battleground

Mais au-delà des questions de visibilité, les problématiques abordées par ces femmes artistes révèlent à elles seules combien l’art continue d’être un moyen d’agiter les consciences. Qu’il s’agisse avec Safaa Mazirh ou Fatima Mazmouz d’exhiber son propre corps afin de revendiquer un sentiment d’appartenance inaliénable. Les séries de la seconde Super Oum – Le corps pansant ou Bouzbir – Utérus & Vulve racontent à elles seules comment l’on passe du statut de femme-objet à celui de femme-sujet, d’un corps prostitutionnel à un être assumant ses désirs et ses choix. Qu’il s’agisse avec Amina Benbouchta d’aborder les questions douloureuses liées à l’avortement ou à l’oppression comme ce fut le cas avec l’installation Le Banquet présentée en 2020 à Dar Moulay Ali, dans le cadre de l’exposition Soulèvements d’alter ego. La jeune photographe FatimZohra Serri, membre du collectif Noorseen, déjoue elle aussi les codes relatifs à la représentation féminine à travers des mises en scène subvertissant l’espace domestique réservé traditionnellement aux femmes.

Safaa Mazirh, Sans titre #6. Courtesy galerie 127

Si la mise en scène de soi et la problématique du corps restent centrales dans le travail de ces plasticiennes, d’autres questions sociétales émergent comme celle de l’héritage évoquée par la vidéaste et plasticienne Ymane Fakhir dont l’exposition The Lion’s Share, présentée à Kulte Gallery en 2017, avait critiqué les inégalités entre les sexes. Comme un relai des revendications qui sourdent dans la société, les artistes marocaines mettent en lumière les contradictions qui entourent encore les droits des femmes. Quitte à crier dans le désert.

O.R et E.O

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