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[Story] Comment le sapeur est devenu incontournable dans la peinture africaine

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Sa démarche chaloupée et son sens du style ne trompent pas. Le sapeur est aujourd’hui l’un des marqueurs de la culture populaire africaine. Il est aussi devenu un motif récurrent dans la peinture contemporaine du continent. 

Chéri Chérin, Une autre génération renaîtra de ses cendres, acrylique sur toile, 103 x 194 cm.

Tantôt célébrée tantôt reléguée au statut de folklore, la S.A.P.E –  “Société des Ambianceurs et Personnes Élégantes » – constitue un pilier essentiel de la culture populaire africaine. Née dans les années 1920 sur les rives du fleuve Congo, elle est conçue comme un style de vie et une forme de contre-culture. Elle devient très vite une source d’inspiration pour les artistes qui lui offrent ses premières véritables lettres de noblesse. À la fin des années 1950, les peintres populaires de Kinshasa, avec en tête de proue Chéri Samba, Chéri Chérin et Moké, intègrent la figure du sapeur dans leurs toiles et proposent un regard nouveau sur la société kinoise alors en pleine expansion.

Zemba Luzamba, Two Heads, 2015, peinture à l'huile sur toile, 70 × 92 cm

En rupture avec les peintres de l’Académie d’art populaire indigène qui s’attachaient davantage à des thèmes liés à la nature et à la paysannerie, les peintres populaires créent une nouvelle forme de peinture figurative en prise avec l’effervescence urbaine de Kinshasa, dans laquelle la population se reconnaît. La satire politique et sociale est omniprésente dans cette peinture narrative, mais à l’image de la S.A.P.E, elle se fait avec dérision et à grands coups de couleurs vibrantes. Car la S.A.P.E est un acte de réappropriation du discours identitaire. Elle s’approprie les codes occidentaux pour créer un récit alternatif sur l’Afrique et la masculinité noire. Subversifs, les sapeurs d’un Zemba Luzamba s’habillent « avec et contre » cet imaginaire colonial qu’ils défient.

Pierre Bodo, Sapeur Tombola, 2011, acrylique sur toile, 194 x 128 cm, collection privée.

LA S.A.P.E, suppôt du capitalisme ? 

Certains artistes portent cependant un regard critique sur la sapologie (version contemporaine du mouvement) dans laquelle les idéaux ont fait place au culte de l’apparence. Là où dans les années 1960, la S.A.P.E était un moyen de s’émanciper des diktats politiques – Sous le régime de Mobutu, elle devient symbole de résistance après l’interdiction du port de la cravate et la généralisation de l’Abacost –  à partir des années 2000, elle s’enferre dans le conformisme et appelle à la surenchère, nourrie par le capitalisme et la mondialisation. Chez Pierre Bodo, les sapeurs à têtes d’oiseaux, soucieux de leur image, refont sans cesse leur plumage. Figure de la nouvelle garde congolaise, Francis Mampuya choisit, lui, de représenter la S.A.P.E de façon plus abstraite en la chargeant de symbolisme. Ses compositions faites de mouvements et de couleurs franches, représentent chaos et musèlement.

Anjel, Sapé comme jamais, 2017 Acrylique sur toile, 110 × 85 cm

L’artiste camerounais Boris Anje Tabufor aka Anjel dénonce également cette culture de l’apparence qui masque parfois le drame du surendettement et de la pauvreté. Le peintre pare ses personnages de monogrammes de marques de luxe, comme un voile qui les étouffe. Dolet Malalu en fait un être burlesque aux yeux exorbités, tandis que Moustapha Baidi Oumarou ou Peter Ngugi les anonymisent. Chacun à leur manière, ils invalident les excès du self branding.

Kehinde Wiley, Three Boys, 2013, peinture à l'huile sur toile, 92 x 92 cm.

Malgré tout, la S.A.P.E reste un marqueur important de la culture africaine et transcende les frontières du continent. Avec une approche plus universaliste et décomplexée, des artistes afro-américains comme Iké Udé ou Kehinde Wiley utilisent non seulement les canons de l’art classique pour remettre le modèle noir au centre de leurs oeuvres mais aussi les codes de la S.A.P.E et du portrait studio : couleurs étincelantes, postures augustes, goût pour l’excès et l’exubérance. Une façon de rendre à la culture africaine toute sa place et de la hisser au rang des cultures dominantes.

Chama Tahiri

Visuel en couverture : Zemba Luzamba, Sapologie, 2019, Huile sur toile, 137 x 159 cm
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