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WILLIAM KENTRIDGE: le miroir de nos vanités

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Simon Njami, récemment aux commandes des deux dernières biennales de Dakar, fait défiler les images de sa rencontre avec William Kentridge. Il évoque la place majeure qu’occupe le théâtre dans l’oeuvre de l’artiste sud-africain, qu’il considère plus comme un conteur qu’un plasticien.

William Kentridge est sans doute l’un des artistes les plus pertinents de notre temps. Non pas parce qu’il a produit une oeuvre importante – cela va de soi –, mais à cause de la réflexion qui sous-tend la manière dont cette oeuvre s’est construite. Je ne le considère pas comme un plasticien, au sens traditionnel du terme, mais comme un conteur, un storyteller qui raconte encore et encore la même histoire, avec des nuances, des retraits, des compléments, des corrections. Et ces histoires sont le fruit, non pas d’un geste esthétique soudain, mais d’une réflexion qu’il poursuit depuis qu’il s’est engagé sur la voie de la production artistique.

J’ai rencontré William Kentridge au milieu des années 90 chez lui, à Johannesbourg, peu de temps après que Nelson Mandela avait été libéré de prison. Il y avait là Deborah Bell et Robert Hodgins, deux artistes auxquels il avait tenu à me présenter. Ils partageaient la même passion pour le Ubu d’Alfred Jarry. L’atmosphère de ce moment partagé contrastait de manière saisissante avec tout ce que j’avais pu expérimenter jusque-là. Dans les milieux culturels d’Afrique du Sud, on n’avait à la bouche que des propos explicitement politiques : la contrition, la confession, la revanche… Je me suis retrouvé soudain dans un antre protégé où, pendant des heures, nous avons parlé de création artistique, d’art contemporain et du rôle (si tant est qu’il en eut jamais un) de l’artiste dans la société. Ce fut une conversation ontologique dans laquelle l’art ne tenait pas le rôle majeur, mais servait de point de départ à une discussion plus ample.

The Head and the Load, performance théâtrale, 2018. Courtesy de l’artiste et Goodman Gallery

 

Nous avons abordé la politique, non pas avec les lieux communs habituels, les débats qui avaient alors cours, mais à travers une analyse plus marxiste. La politique était un outil qui devait permettre un meilleur vivre-ensemble et ne pouvait faire l’impasse de l’histoire et de l’économie. Le trio parlait de l’Afrique du Sud non pas comme d’un îlot isolé au milieu de nulle part, mais comme d’une conséquence de mouvements plus amples. L’histoire était la clé de tout. Le rapport particulier qu’entretenait (qu’entretient) Kentridge avec le passé, avec la culture universelle, l’a distingué d’emblée de beaucoup d’autres artistes dont les préoccupations étaient immédiates et strictement nationales. J’aime pouvoir, dans une conversation, aborder tous les sujets possibles, comme dans ces banquets chers à Platon.

William Kentridge, il me semble important de le souligner ici, est titulaire d’une licence de sciences politiques et d’études africaines. Ce n’est que par la suite qu’il a étudié aux Beaux-Arts. À la fin des années 70, il a étudié le mime et le théâtre à Paris. Entre 1975 et 1991, il était acteur et metteur en scène à la compagnie de théâtre de Junction Avenue à Johannesburg. Dans les années 80, il a travaillé sur des téléfilms et feuilletons comme directeur artistique. Ce rappel biographique n’est là que pour affirmer une évidence : Kentridge n’a jamais voulu être un artiste au sens où l’on peut l’entendre aujourd’hui. Et le bagage accumulé au cours de son parcours universitaire et professionnel lui a permis de prendre une position distante,et d’affirmer une attitude critique par rapport aux débats qui animaient et qui continuent d’animer les milieux de l’art contemporain.

More Sweetly Play the Dance, 2015, 15 minutes, film HD, mégaphones et haut-parleurs. Courtesy de l’artiste et Goodman Gallery

 

Le travail de Kentridge participe avant tout de l’esthétique et de la mécanique du théâtre qui fut et demeure, à mon sens, son premier et unique amour. On le sent dans les films d’animation qu’il crée et où, derrière le plasticien, apparaît toujours le metteur en scène, le lecteur infatigable d’une littérature mondiale qu’il a faite sienne.

Retrouvez l’intégralité de ce portrait dans le numéro 47 actuellement en kiosque.

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