LES JOYAUX MEDIEVAUX DU MAROC SE PREPARENT POUR LE LOUVRE

Détail du minbar de la Quaraouiyine © Fabrice Coiffard pour DIPTYK

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Dans les coulisses de la grande exposition programmée au Louvre à la rentrée sur le Maroc médiéval, Diptyk a rencontré les restaurateurs venus rafraîchir une centaine d’objets qui feront le voyage, parmi lesquels le minbar des Andalous et le lustre de la Quaraouiyine.

 

Par Syham Weigant

 

Photo Fabrice Coiffard

 

 

C’est une dizaine de restaurateurs qui ont été envoyés par le Louvre, répartis entre Marrakech, Rabat et Fès et trois corps de métier : bois, métal et sculpture. Nous arrivons sur les lieux quelques heures avant les commissaires marocaine et française qui devront observer les ouvrages achevés et parler transport.

 

A Rabat, d’abord à l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP), puis au Musée archéologique, rencontre avec l’équipe de Sabine Cherki pour les stucs. En plein travail, on les observe renforcer des structures, harmoniser les surfaces de présentation et épousseter au pinceau fin pour enlever les micropoussières ou révéler de succinctes traces de couleur.

 

Un métier de calme, de concentration

Ici rien de spectaculaire. C’est que le métier a changé depuis le xviiie siècle où l’on reconstituait à l’identique les pièces endommagées par le temps. Depuis les années 1975, priment un principe de réversibilité et d’humilité face aux objets et aux connaissances parfois lacunaires qu’on en a. Pour Sabine Cherki, restauratrice spécialiste de la sculpture, aujourd’hui le restaurateur « a un rôle de détective, qui essaie de reconstituer la vie de l’objet et de retrouver les différentes interventions qui l’ont ponctué. » Plus question, par exemple, de reconstituer les « manques » par assemblage et ajout de matière. L’heure est au minimalisme, à l’authenticité.

 

A Fès, on restaure les bois au Musée Nejjarine

Direction Fès. L’équipe dédiée au travail sur bois œuvre sur des fresques monumentales au Musée Nejjarine, qui renferme uniquement des pièces réalisées avec ce matériau. Anne Stéphanie Etienne et Céline Giraud, comme leurs collègues de Rabat, ont suivi une formation d’ingénierie mêlant science et histoire de l’art et partagent les mêmes principes contemporains de la profession. « On intervient comme des médecins urgentistes. On n’est pas dans une chirurgie esthétique. C’est un chantier d’urgence où le temps d’étude est inexistant. » Pour rendre plus lisible la calligraphie sculptée, l’équipe a dû se battre contre une pratique locale maladroite. Réputée pour son effet de brillance à court-terme, l’huile de lin est communément utilisée au Maroc pour raviver l’éclat des boiseries. Cet enduit s’oxyde assez vite et noircit avec un « effet peau de crapaud » qui rend illisible la surface. Les restauratrices rappellent les trois principes fondamentaux qui ont guidé leurs études : « Innocuité, réversibilité et lisibilité. On ne doit pas participer à la détérioration de l’objet, ce qui nous pousse à rechercher en permanence de nouveaux produits et de nouvelles techniques. La réversibilité prend en compte le fait qu’il peut y avoir des erreurs et qu’on doit pouvoir défaire chaque intervention. La lisibilité implique qu’on ne cherche pas à faire à l’identique, le but n’est pas de créer des “faux historiques”. On utilise justement des produits différents identifiables et reconnaissables. »

 

Pièces maîtresses : minbar et lustre

Sandrine Linxe, en charge de la restauration des minbars au Musée Batha, explique  le code déontologique du métier : « Tout fait partie de l’histoire de l’objet, il ne faut pas juger ou enlever de façon définitive. On est là pour conserver l’existant sans qu’il y ait de perte d’information ou de matériaux. Aucune période n’est plus intéressante que l’autre, surtout pour les objets utilitaires. »

La restauratrice a beaucoup à faire à ce sujet sur le minbar des Andalous. Datant du xe siècle, l’histoire de ce joyau du Maroc semble mouvementée. Henri Terrasse, directeur de l’Institut des Hautes Etudes Marocaines, a été le premier à l’étudier en 1942. Il a mis au jour différents décors et éléments, dont certains sous-jacents, le tout ayant été recouvert d’une peinture verte badigeonnée à une époque inconnue. La datation de l’ensemble est incertaine car située à la charnière de deux conquêtes, Omeyyade et Fatimide, ce qui empêche son classement au registre patrimonial.

Diplômée en Histoire des Arts de l’Islam, Sandrine Linxe a partagé avec nous le plaisir qu’elle a eu à travailler sur ces objets de culte, chargés d’une forte symbolique sacrée. Elle nous explique surtout que grâce à cette restauration et les échantillons qu’elle a pu prélevés, le classement de l’ensemble pourrait bien aboutir.

Prenons le temps d’observer ce joyau. Le minbar des Andalous présente des sculptures en tournage qui le démarquent de celui de la Quaraouiyine, plus récent, qui offre quant à lui une fine marqueterie d’os, de buis, de citronnier, d’ébène et de sadouk rouge. Sur ce-dernier, des traces de dorure et d’argenture laissent imaginer l’aspect raffiné et précieux de l’ouvrage originel. On y décèle également une tentative de restauration avortée en 1950 prouvant qu’il est désormais impossible de reproduire ou de rivaliser avec des techniques qui semblent avoir disparu.

« Ce sont des objets très bien pensés, y compris en termes technique et pratique. Ces minbars sont toujours debout alors qu’on les déplaçait souvent. L’histoire des techniques et des styles n’est pas linéaire, on ne tend pas vers la perfection et l’industrialisation n’a pas forcément amélioré les techniques. Certains savoir-faire se perdent. Il faut rester humble : pour l’assemblage des pièces par exemple, le premier mobilier découvert dans les tombes égyptiennes datant de -4000 av J.C. est le même que celui du mobilier français au xviiie siècle ! », précise Sandrine Linxe.

 

Le lustre, une ancienne cloche d’église

La suite ne déçoit pas. En même temps que les commissaires Yannick Lintz et Bahija Simou, nous découvrons sous une bâche le lustre de la Quaraouiyine. La restauration de cette ancienne cloche d’église, butin de guerre rapporté d’Espagne et transformé pour illuminer la mosquée, a mis au jour des symboles anciens astrologiques mal effacés et des écritures latines auxquelles se mêlent des versets de la sourate « An-Noûr » (la lumière, ndlr).

 

(…) Retrouvez l'intégralité de cet article dans DIPTYK#23, bientôt en kiosque

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Le jardin des délices, 2015, huile sur toile, 180 x 380 cm
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Restauration des fresques en bois au Musée Nejjarine © Fabrice Coiffard pour DIPTYK
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Mohamed Sarghini (1923-1991) La Medina Et Ses Habitants, Mausolee Sidi Saidi, 1947 Huile sur toile Signée en bas à gauche 79 x 69 cm 180 000 / 200 000 DH 16 700 / 18 600 €. Courtesy de la CMOOA
Une des planches du minbar des Andalous avec une reproduction de l'étude faite par Henri Terrasse © Fabrice Coiffard pour DIPTYK
Anne Stéphanie Etienne appose des repères pour consolider une fresque en bois © Fabrice Coiffard pour DIPTYK