RETOUR SUR DAK’ART 2014 : DE L’ENTHOUSIASME MAIS DES REGRETS

Nidal Chamekh, dessin, copyright de l'artiste

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Pourtant saluée à l’international comme sur le continent après sa semaine d’ouverture, la 20e édition de la biennale africaine s’est clos le 18 juin avec un goût amer. La censure s’en est mêlée, brisant net un élan que l’on croyait enfin pris.

 

par Yves Chatap, Estelle Lecaille et Syham Weigant

 

Pour cette nouvelle édition, c’était l’effervescence. Après la fête, artistes, professionnels et publics – plus international que local d’ailleurs, l’une des problématiques à plancher – étaient repartis plutôt satisfaits malgré des propositions inégales, surtout dans le « off » qui mériterait une sélection plus rigoureuse et d’être ramené à une échelle plus humaine (270 lieux composaient le « off » cette année). La joie fut de courte durée car la gueule de bois qui nous saisit le lendemain finit de gâcher la fête…

Il y a encore quelques jours on était fiers de notre biennale qui osait tous les sujets, toutes les audaces et faisait même la une des grands quotidiens internationaux saluant le culot de cette édition, véritable îlot de tolérance dans un continent où les dérives sectaires deviennent peu à peu la norme… Le public international parti, des œuvres jugées « litigieuses » portant sur l’homosexualité – apparemment encore un gros mot chez nous – ont été décrochées au milieu de l’indifférence locale. Issues de l’exposition « Imagerie précaire, visibilité gay en Afrique » organisée par la curatrice Koyo Kouoh dans son espace Raw Material (voir notre article dans DIPTYK#24) ces œuvres de Kader Attia, Jim Chuchu, Andrew Esiebo, Amanda Kerdahi M. et Zanele Muholi n’ont apparemment pas supporté d’être rendues uniquement à un public dakarois (l’exposition devait rester en place jusqu’au 18 juin). On s’attriste encore davantage de les voir mal défendues par Babacar Mbaye Diop, secrétaire général de toutes les façons démissionnaire puisqu’il avait, rappelons-le, jeté l’éponge dès la fin de la première semaine des festivités. La triste formule qui lui est prêtée rejette la responsabilité des propositions « déviantes » sur le « off » de la biennale, présenté comme une émanation indépendante, absolument hors de contrôle de l’organisation du « in ».

A qui la faute alors dans un continent où la reddition des comptes n’existe pas et où la déresponsabilisation est érigée en vertu cardinale ? Et surtout quelle est au juste cette « faute » ? Avoir cru au moment de l’ivresse de la liesse et pour quelques jours seulement qu’on avait grandi et qu’on pouvait enfin parler de tout ?

Au moment où nous nous félicitions d’avoir réussi à arrimer Dak’art au calendrier des biennales internationales, au moment de cette transition qui lui permettait de ne plus être seulement la « biennale des Africains » voila que tout sombre à nouveau dans la désolation.

 

Une biennale pourtant plurielle

Pourtant de belles choses avaient été amorcées. La personnalité et les compétences complémentaires des commissaires avaient enfin livré une image juste du continent, dans laquelle toutes les composantes de l’Afrique étaient représentées équitablement. Aux côtés de l’Algérien Abdelkader Damani et de la Franco-Camerounaise Elise Atangana, le Nigérian Smooth Ugochukwu Nzewi (qui vit aux USA) a ainsi permis de dépasser l’aspect francophile des précédentes éditions. Plus généralement les références universalistes de ces trois commissaires issus de la diaspora ont rendu possible cet arrimage à la scène internationale. Le choix de montrer uniquement des artistes encore jamais présentés à Dak’art a également mis fin à toute forme de clientélisme, amené surtout un renouvellement de la scène et une certaine fraîcheur. Ces artistes, souvent engagés pour leur continent, ont tous fait front malgré les difficultés : les œuvres de Julie Mehretu et d’autres sont restées bloqués à la douane tandis que la performance de Bouchra Ouizguen a été tout bonnement annulée, par un manque de communication entre les différents services nationaux. Mais comme nous le rappelait Koyo Kouoh, « Dak’art c’est le cœur, et n’importe quel artiste fera un effort pour venir ». C’est bien ce qu’ils ont tous fait, trouvant des solutions pour participer à cette initiative générale dans laquelle ils se sentent investis, un effort qu’ils n’auraient pas consenti à d’autres structures…

La qualité des artistes choisis est aussi à saluer. Elle permet d’ailleurs de pallier à un argumentaire général en carence, souffrant notamment d’avoir été établi a posteriori… Même le joli palmarès de la biennale, qui a fait le choix assez fort d’un « retour à la matière » en saluant un peintre (Driss Ouadahi) et un sculpteur (Olu Amoda), ne semble être qu’une construction assez peu en adéquation avec ce qu’il y avait à voir et à entendre pendant Dak’art 2014. Finalement les médias « classiques » comme la photo, la peinture ou la sculpture étaient plutôt rares, avec une ultra présence de l’installation et de la vidéo…

 

(…) Retrouvez l'intégralité de ce dossier dans DIPTYK#24, bientôt en kiosque

Etenesh, l’Odyssée d’une migrante, Paolo Castaldi, Éd. des Ronds dans l’O, 122 p., 280 DH