Taper pour chercher

DRISS OUADAHI, LE PLUS CLASSIQUE DES CONTEMPORAINS

Partager

L’artiste algérien, qui vient d’être primé à la dernière Biennale de Dakar, nous révèle les grands-écarts de son parcours et de son œuvre, entre ultra contemporain et classicisme, entre intensité intellectuelle allemande et stigmates de l’Algérie.

 

par Syham Weigant

 

 

Lors de cette édition de Dak’art 2014, il aura été le premier surpris de son grand prix Léopold Sedar Senghor qu’il partage avec Olu Amoda. De sa peinture, le commissaire Abdelkader Damani dit qu’elle est une synthèse entre le classicisme italien du xive siècle et l’ultra contemporain de l’école allemande du xxie siècle. L’artiste ajoute qu’il se réapproprie une tradition musulmane et occidentale. Synthèse parfaite de sa vie passée d’abord en Algérie et, depuis 1987, en Allemagne.

 

Pendant ses premières années, son parcours est totalement soumis aux aléas d’une Algérie en construction et qui sombre une trentaine d’années plus tard dans le chaos. Il naît au Maroc, en 1959, où son père s’est réfugié avant de retourner quelques années plus tard à Alger au moment de l’indépendance. Souffrant d’un asthme sévère, il est exilé chez sa grand-mère en Kabylie. C’est un déchirement aggravé d’un sentiment d’incompréhension et d’injustice pour l’enfant qu’il est alors. Il y reste neuf ans et se réfugie dans le dessin qui devient ce langage tacite qui l’oppose à son père. Le trait poursuit une conversation muette en échange de couleurs et crayons. Il dessine pour survivre et résister par « nécessité naturelle. »

 

A contre-courant du signe

Plus tard après le lycée, on le retrouve à Cuba étudiant l’architecture. Juste le temps que les relations entre les deux pays connaissent un refroidissement diplomatique et qu’il soit renvoyé chez lui. Ca tombe bien, l’Ecole nationale des Beaux-arts qui ne proposait alors qu’un diplôme de premier degré, fait peau neuve et propose désormais un enseignement supérieur… Ce dernier est tout de même décevant : le corps enseignant et les cours proposés sont restés inchangés. Pendant ces deux années, Driss Ouadahi développe quand même un style propre, totalement à contre-courant des revendications identitaires défendues par l’école du signe Aoucham : il fait le choix de la figuration car il « veut raconter des choses », il peint des personnages en mouvement très expressifs, comme en fuite… C’est d’ailleurs ce qu’il s’apprête à faire lui-même.

Car Driss Ouadahi sent qu’il faut lever le camp une fois de plus. L’apprentissage trop scolaire et le climat politique incertain l’ont décidé… Depuis l’Allemagne où il arrive en 1987 il suit, impuissant, la décennie noire qui s’abat sur son pays natal. Le climat déjà tendu s’envenime à l’annulation des résultats des élections en 1991. Les intellectuels tombent les uns après les autres sous les balles, jusqu’à l’assassinat d’Ahmed Asselah, alors directeur de l’Ecole des Beaux-Arts et de son fils dans l’enceinte de l’établissement. Un crime qui traumatisera plusieurs générations d’artistes algériens. Beaucoup d’entre eux comme Yazid Oulab ou Adel Abdessemed se réfugient dans la diaspora tant il est évident alors qu’il « faut sauver sa peau ».

 

En Allemagne, il intègre l’Académie d’Art de Düsseldorf où il côtoie l’excellence et « l’intelligence ». Joseph Beuys, un de ses enseignants les plus charismatiques vient de mourir, mais Driss Ouadahi évolue tout de même parmi des professeurs de haut niveau : Nam June Paik, Gerhard Richter ou Sigmar Polke. Mais c’est le francophile Michael Buthe, très inspiré par le Maroc et les formes plus généralement orientales, qui lui ouvre grand les portes de son atelier en déclamant du Camus. L’atmosphère autour de lui est très stimulante : chaque professeur ou étudiant est un univers en soi. Ces rencontres sont des « chocs » artistiques autant que de questionnements qui l’ébranlent, d’autant qu’en Allemagne l’étudiant est moins formaté que sous d’autres cieux et qu’une grande liberté lui est laissée. Aux formes expressives et sombres qui l’entourent il oppose, pour s’affirmer, les couleurs et la lumière d’Algérie. Des jaunes, des verts intenses auxquels il donne corps en pensant aux architectures vernaculaires du Sud : « La couleur avait une qualité physique à l’intérieur de laquelle j’invitais le spectateur à entrer. »

 

La poésie des HLM

Ce n’est que plus tard dans sa nouvelle vie européenne qu’il est à nouveau saisi par une « rencontre avec l’architecture. » Au cours de ses déplacements à travers Berlin ou dans les banlieues françaises, il note la grande similitude des différents HLM qu’il croise et où il a parfois habité à la périphérie des grandes métropoles : « il règne une poésie étrange dans cette esthétique très seventies. ». Une poésie semblable d’ailleurs à celle des immeubles qui se construisaient de façon anarchique en Algérie… « J’ai alors eu un déclic : j’ai voulu travailler sur ces grands ensemble qui sont des endroits de transition chargés d’histoire. Il s’agissait de leur donner corps. Je me suis éloigné de la couleur comme vibration intérieure, pour un retour sur soi, sur mon identité. Mais j’ai préservé la lumière. Mes premières peintures sont des façades, des portraits d’immeuble, de grands formats avec une peinture épaisse qui donne du relief. Avec des variations, un rythme qui est une forme d’abstraction qui renoue avec l’art islamique mais sans succomber à la décoration. Je n’ai retenu que le rythme comme clin d’œil à ces recherches esthétiques qui ont généré de belles expériences comme la géométrie. Cela me donne la liberté de répéter sans blocages, d’autant que le résultat ne découle pas d’une perspective juste : je commence par le dessin dans un dialogue où je suis libre de mes réajustements. » L’artiste balance nous dit-il, entre l’attrait pour le « génie de ces constructions » et le fort « sentiment de malaise » qu’elles lui inspirent tandis que le spectateur est happé dans une sensation de vertige devant ces espaces paradoxalement vides dont il varie les angles de vue…

 

(…) Retrouvez l'intégralité de ce portrait dans DIPTYK#24, bientôt en kiosque

Ymane Fakhir Extrait de la vidéo « Prendre soin », 2012 Vidéoprojection 3'18 Courtesy Ymane Fakhir et galerieofmarseille
Ymane Fakhir Extrait de la vidéo « Prendre soin », 2012 Vidéoprojection 3'18 Courtesy Ymane Fakhir et galerieofmarseille
«Unorthodox», Jewish Museum, New York, jusqu’au 27 mars.
«Unorthodox», Jewish Museum, New York, jusqu’au 27 mars.
Un bus pour aller à l’école, village Oromo, Ethiopie, tirage glossy fine art, 2015
Un bus pour aller à l’école, village Oromo, Ethiopie, tirage glossy fine art, 2015
HOUDA TERJUMAN (NÉE EN 1970) UNTITLED (HISTOIRE DE VIE), 2017 Câble et papier 70 x 35 x 35 cm 50 000 / 60 000 DH 5 000 / 6 000 €
HOUDA TERJUMAN (NÉE EN 1970) UNTITLED (HISTOIRE DE VIE), 2017 Câble et papier 70 x 35 x 35 cm 50 000 / 60 000 DH 5 000 / 6 000 €
Eric Van Hove est de retour avec un moteur travaillé avec des artisans
Eric Van Hove est de retour avec un moteur travaillé avec des artisans
x
seisme maroc

La rédaction de diptyk se joint aux nombreuses voix endolories pour présenter toutes ses condoléances aux familles des victimes du séisme qui a frappé notre pays.

Nos pensées les accompagnent dans cette terrible épreuve.

Comme tout geste compte, voici une sélection d'associations ou d'initiatives auxquelles vous pouvez apporter votre soutien :