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L’art textile tisse sa toile à AKAA

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L’édition 2022 de la foire AKAA est marquée par une forte présence des oeuvres d’art textile. Dépassant largement le lien de parenté avec l’artisanat, la complexité technique et la portée spirituelle de ces pièces uniques en font de nouveaux objets de désir.

Coudre, nouer, enfiler, suspendre, couper… Les artistes manipulent le tissu comme n’importe quel matériau, avec peut-être même une sérieuse valeur ajoutée. Le textile a la particularité d’interroger l’identité au sens large : il raconte des histoires, exprime des messages ou préserve une mémoire. Il n’est pas inintéressant de rappeler que la notion de tissu, du latin textus, a donné le mot « texte », et c’est bien comme cela que les artistes l’envisagent. Cette année, AKAA semble enfoncer le clou en présentant une dizaine d’artistes ancrés dans cette pratique. Dans le camp des oeuvres d’art textiles pures, on trouve le doyen Abdoulaye Konaté, représenté par la Galerie 38 (Casablanca). Dès les années 1990, il bascule de la peinture vers la grande tradition de la tapisserie. Ce sont de véritables oeuvres murales où la matière textile évolue subtilement selon les variations de lumière et de souffle d’air. Toujours réalisée en bazin, la toile traditionnelle du Mali, la dernière oeuvre d’Abdoulaye Konaté rend hommage à la femme marocaine.

Sanda Amadou, Blooming I (L’épanouissement I), 2022, technique mixte sur toile, 30 x 30 x 29 cm. Courtesy OpenArtExchange. 1750 euros.

Moins sage, la grande tendance du moment est l’amas de matière, l’explosion de tissus au mur. La mouture 2022 de la foire AKAA en propose un large spectre. Hyacinthe Ouattara (Afikaris, Paris), qui vient du dessin, a commencé par travailler sur l’anatomie des tissus cellulaires pour en faire des « cartographies humaines ». Questionnant l’équilibre et le déséquilibre, il joue dans ses oeuvres sur l’effet de suspension, qu’il peut présenter au mur comme au sol. Ses oeuvres, comme celles de Samuel Nnorom (Galerie Chauvy, Paris) avec ses bubbles composées de tissu ankara (équivalent du wax) glané sur des marchés aux vêtements d’occasion, ou encore celles de Sanda Amadou (OpenArtExchange, Schiedam), infusées par la culture nomade fulani (peul) de son Bénin natal, dessinent une nouvelle abstraction qu’on ne peut s’empêcher de mettre en lien avec la culture du tressage de cheveu, formes visuelles immortalisées en photographie par J. D. ‘Okhai Ojeikere.

Indéfinissables, les oeuvres textiles s’apparentent souvent à des créations mix media qui incorporent allégrement les arts visuels à la sculpture ou aux arts graphiques. Comme Atsoupé chez Anne de Villepoix (Paris), qui mêle dans ses peintures rubans, fragments de laine, napperons, etc. Ses récentes Têtes sont devenues de véritables attrape-rêves qui s’extraient du mur, où le textile remplace la touche du pinceau. Certains artistes flirtent encore davantage entre 2D et 3D, réinventant la peinture, l’art textile ou la sculpture – on ne sait plus bien et c’est ça qui est passionnant. Le jeune Sud-Africain Abongile Sidzumo (Africa First, Tel Aviv) utilise le cuir comme on ferait des aplats de peinture acrylique, associant son processus de couture à la notion de guérison, en mémoire des traumatismes de l’Apartheid. Sa compatriote Turiya Magadlela (Kalashnikovv Gallery, Johannesburg) assemble quant à elle des collants de femme de différentes teintes pour dénoncer les violences racistes et sexistes.

Abongile Sidzumo, Brownie, 2022, cuir, fil et teinture, 116 x 78 cm. 4000 euros. Courtesy Africa First X Lys Contemporary

Et puis il y a les artistes qui ne transmutent pas le textile au sein de leurs oeuvres. Dans les nouvelles pièces de Georgina Maxim présentées par la galerie 31 Project (Paris), le tissu ne tend pas à disparaître dans un processus de transformation. Il est là pour ce qu’il est, pour rejoindre l’une de ses attributions premières : le vêtement. Les robes de l’artiste zimbabwéenne étirées au mur, comme épinglées, font autant penser à une crucifixion qu’à des planches entomologistes. Le tissu est, ici, définitivement « à l’étude ». Si l’on plonge d’ailleurs dans la vraie nature du tissu, on peut s’interroger sur la manière de collectionner ces pièces si particulières.

Les oeuvres textiles font-elles peur aux collectionneurs ? « On a souvent affaire à des acheteurs plus expérimentés, qui ont déjà acheté beaucoup de peinture et qui sont à la recherche d’une oeuvre audacieuse qui va les interpeller », remarque Florian Azzopardi de la galerie Afikaris. Le textile a aussi une réputation de fragilité : pourtant « un tissu, ce n’est pas plus ou moins fragile qu’une toile peinte », rappelle la galeriste Marion Chauvy. Devenir un collectionneur d’oeuvres textiles ne tient qu’à un fil.

Marie Moignard

AKAA, Also known as Africa Carreau du Temple, Paris, 21-23 octobre 2022.
Abdoulaye Konaté, Hommage à la femme marocaine, 2020, textile, 229 x 403 cm. Courtesy La Galerie 38. Photo © Fouad Maazouz
Turiya Magdalela, Imilenze Ye Mpumelelo Nethemba Lakwantu, 2021, collant en nylon et coton avec peinture phosphorescente sur deux pans de toile (diptyque), 120 x 240 cm. Courtesy Kalashnikovv Gallery
Samuel Nnorom, Ada Aku, 2022, chutes de tissu ankara, mousse, 210 x 160 x 12 cm. Courtesy Galerie Marion Chauvy
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