Taper pour chercher

Ouazzani ou la fausse innocence

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La Galerie CMOOA rend hommage à Abdelkrim Ouazzani, le maître de Tétouan et ex-directeur de son Institut national des Beaux- arts, récemment décoré par le roi. Le moment de déjouer l’apparente facilité de son œuvre… SYHAM WEIGANT – PHOTOS CMOOA


On tape du pied dans la salle, c’est étrange comme les files d’attente conditionnent. Pour l’expo Ouazzani, la Galerie CMOOA a imaginé une scénographie ludique et pertinente, sans jamais perdre le fil conducteur du voyage. L’artiste est là, goguenard et malicieux derrière son guichet. Plus Monsieur Loyal que Consul Général austère, dont pourtant il s’octroie les attributs pour distribuer visas et autres cartes de séjour à destination de… nulle part ! On toussote, plaisantant, mi-grave, mi-léger, attendant son tour, et le charme d’une certaine innocence opère. On prête à Picasso la très jolie formule selon laquelle il aurait eu besoin de « toute une vie pour peindre comme un enfant. »


Ouazzani a eu une révélation semblable dès la fin de ses études à Paris. Depuis, il a su tracer un sillon très personnel et désormais indispensable dans le contexte de l’art au Maroc.

LA FAUSSE PISTE DE L’INNOCENCE

Ils prêtent à sourire, ces demi-monstres, ces affabulations, des créatures aussi tendres que leur créateur, un monde en sursis que Ouazzani croque avec une maladresse feinte, dans un dernier moment de grâce.

La grâce, c’est le mot et l’instant-clé pour comprendre l’artiste qui s’est figé à un moment idéal. C’est peut-être cela le courage, finalement : faire fi du désenchantement inéluctable pour donner corps aux édens enchanteurs qui voulaient nous accueillir. Ce monde, simplifié en quelques coups de crayon ou en un tournemain, n’est pourtant jamais simple. Bien sûr, Ouazzani vient du Détroit, là où en quelques mètres, on devient Européen ou on reste Africain. Bien sûr, il est aussi utile de dire que pendant longtemps et tous les jours, il a mis de la douceur dans l’apprentissage âpre et difficile des arts au Maroc.

TOUTES LES FACETTES DE TÉTOUAN

Tétouan et son école sont deux éléments fortement constitutifs de sa personnalité et du travail qu’il nous présentait le 18 novembre à Casa. Cette école fut d’abord son terrain de jeu, puis d’apprentissage, avant qu’elle ne soit son lieu d’éternel retour où il crée et enseigne, puis dirige les études. Et si Ouazzani récuse le terme d’« école » au sens de style académique particulier, il y a pourtant insufflé un sentiment d’appartenance pas seulement corporatif. En 1976 a ainsi lieu l’exposition du « Printemps » sur la Place Feddane, exposition-manifeste du Nord où l’on retrouvait, outre Ouazzani, Drissi ou Bouzaïd, et qui répondait un peu à l’exposition de Jemaa el Fna quelques années auparavant. C’est lors d’une des éditions de cette manifestation qu’il a une révélation, qui deviendra bientôt sa signature : accoler sa toile à des structures pour en faire une œuvre en trois dimensions dont on peut s’approprier toutes les facettes. Ouazzani se met ainsi à sculpter la peinture, de même qu’il se met à utiliser une palette de couleurs franches. Pour lui qui voue une grande admiration aux Nanas de Niki de Saint Phalle, c’est le début d’un long malentendu avec les acheteurs marocains qui, pendant longtemps, le cantonnent aux chambres d’enfants ! Pourtant il y a de la gravité aussi dans ces œuvres faussement candides, ainsi qu’une dimension dramatique dans ces figures toujours en déséquilibre, en quête d’un ailleurs…

Ici d’un visa, métaphore d’un monde meilleur qui serait au-delà du Détroit. Voire qui n’existerait déjà plus, car Ouazzani ne fustige pas seulement les frontières établies par l’homme, mais plus généralement l’ingratitude qu’il voue à un monde qu’il a pourtant jadis connu merveilleux et dont il s’acharne à détruire les promesses. Car Ouazzani, c’est finalement un peu notre âme à tous, pas seulement celle de l’enfance qui sommeille encore en nous, mais aussi la voix de notre conscience qui nous souffle de monter sur son « train de Noé » pour sauver ce qui peut l’être encore.

Abdelrkim Ouazzani dans son atelier à Tétouan ©CMOOA
Abdelrkim Ouazzani dans son atelier à Tétouan ©CMOOA
Abdelrkim Ouazzani dans son atelier à Tétouan ©CMOOA
Abdelrkim Ouazzani dans son atelier à Tétouan ©CMOOA
Abdelrkim Ouazzani dans son atelier à Tétouan ©CMOOA
Abdelrkim Ouazzani dans son atelier à Tétouan ©CMOOA
Hicham Daoudi, P.-D.G. d’AHM, et Abdelkrim Ouazzani, préparant son exposition à la Galerie CMOOA.
Hicham Daoudi, P.-D.G. d’AHM, et Abdelkrim Ouazzani, préparant son exposition à la Galerie CMOOA.
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