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PALESTINE, ÉPICENTRE DE L’ART CONTEMPORAIN

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Majoritairement féminine, ancrée dans les nouvelles technologies, la scène artistique de Palestine est l’une des plus actives du monde arabe. Malgré les restrictions sévères imposées par l'occupation israélienne.

Ex directrice du centre Sakakini à Ramallah, doctorante en Cultural Studies à l’Université George Mason aux Emirats Arabes Unis, Adila Laïdi-Hanieh a dirigé en 2008 Palestine, rien ne nous manque ici, un ouvrage collectif réalisé avec des artistes, des critiques et des philosophes. En 2006, elle a enseigné le premier cours sur l’histoire de l’art en Palestine à l’université de Bir Zeit. Entretien.

La Palestine n’a jamais été aussi présente sur la scène internationale. Comment expliquez-vous cet engouement ?

Adila Laïdi-Hanieh : Cette visibilité est liée au tournant qu’a connu l’art contemporain dans les années 1990, inspiré par le multiculturalisme, la critique postcoloniale et, après le 11 Septembre, aux problématiques ayant trait à l’islam. Ce mouvement coïncide avec les accords d’Olso. Dès 1993, de nombreux artistes sont venus vivre en Palestine et ont fait de leur pays un sujet direct, voire exclusif, de leurs œuvres. Grâce au dynamisme culturel de Ramallah, Jérusalem et Gaza, une nouvelle scène artistique a vu le jour. L’engagement de mécènes et de collectionneurs a fait le reste. En 2004, Mona Hatoum obtient le prix Sonning au Danemark. En 2007, Emily Jacir est couronnée par le Lion d’Or à la Biennale de Venise et, l’année suivante, par le prix Hugo Boss de la fondation Guggenheim à New York. Enfin, la cote des artistes palestiniens a été dopée par les maisons de ventes aux enchères et les festivals. En 2007, Sotheby’s propose une vente unique d’œuvres palestiniennes. En 2009, la Biennale de Venise présente pour la première fois un pavillon palestinien.

Le fait que la région focalise régulièrement l’attention des média a-t-il une influence sur cette reconnaissance ?

Oui et non. Comme le dit Emily Jacir, « nous sommes le peuple dont le monde parle le plus et pourtant nous sommes le plus mal représenté ». Sans vraiment améliorer la connaissance que les gens ont du quotidien des Palestiniens, la reconnaissance de la production artistique a cependant été encouragée par des facteurs de curiosité politique, mais aussi par la synergie nouvelle que l’art palestinien s’est mis à entretenir avec l’art contemporain conceptuel. Contrairement aux années 70 et 80, les artistes d’aujourd’hui ont délaissé l’expression nationaliste et politique au profit d’œuvres plus intimistes et personnelles, tout en s’emparant des nouvelles technologies, de la vidéo et d’Internet. C’est cet engouement pour l’approche minimaliste et multimédia qui se retrouve aujourd’hui à l’épicentre de l’art contemporain.

Les artistes qui vivent en Palestine sont pourtant confrontés à d’innombrables difficultés…

C’est d'ailleurs l’ensemble du système qui est concerné. A Gaza et en Cisjordanie (Jérusalem Est inclus), seuls quatre galeries fonctionnent. Mais le manque de financement, le volume assez faible de production artistique et les problèmes de circulation et de protection des œuvres ne permettent pas d’établir des programmations ambitieuses. Comparée à d’autres pays arabes, la scène artistique palestinienne est pourtant très active. Elle n’est pas nourrie d’un marché de l’art, qui est inexistant, mais elle bénéficie du support des communautés locales. Pour pallier l’absence d’un vrai gouvernement, les Palestiniens ont en effet développé un réseau non gouvernemental qui soutient les artistes.

Cette situation insolite fait-elle de la création palestinienne un cas à part dans la production artistique contemporaine ?

De part les questions qu’ils abordent – l’occupation, l’identité, l’exil – les artistes palestiniens touchent à l’universalité de la condition humaine. Cette spécificité de la création palestinienne est d’être ancrée dans ce que Michel Foucault appelle une pratique de la liberté, déterminée par l’anomalie de la situation coloniale. Cette précarité de l’art palestinien, privé de réseaux étatiques ou privés, lui donne une flexibilité, une fragmentation et une ouverture tout à fait appropriées à l’internationalisation et au nomadisme de l’art contemporain. Car si les artistes de la diaspora travaillent en interaction permanente avec leur environnement, ceux restés en Palestine développent des pratiques quasi autarciques, liées à leurs conditions de vie marquées par le manque de liberté, la précarité économique et les bouleversements politiques. Dès lors, l’évolution artistique se fait par rupture et réinvention plutôt que par accumulation et mimétisme, dans un souci constant de survie, d’affirmation de liberté et de résistance.

Cette évolution est d’ailleurs en grande partie l’œuvre de femmes. C’est une autre particularité de la scène palestinienne ?

Absolument. Grâce à la multiplication des aides, des prix et des bourses de résidence pour les moins de 35 ans, ces femmes sont aussi de plus en plus jeunes. Rana Bishara, Ahlam Shibli, Raeda Saadeh, Shuruq Harb, et Jumana Abboud : ces artistes nées dans les années 70 se retrouvent dans un travail sur des thèmes aussi variés que le corps, la sexualité, l’affranchissement, les crimes d’honneur ou la mode. Cette pratique féministe acquiert une double importance. Au niveau palestinien, elle est le seul site de critique interne dans la pratique esthétique du pays. Au niveau du monde arabe, la force de cette thématique féministe est tout simplement unique.

Cet article a été publié dans diptyk n°12, octobre-novembre 2011.

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