1-54 Marrakech : entre DaDa et La Mamounia des ventes contrastées

Share

Malgré la morosité du contexte international, la 5e édition de la foire de Touria el Glaoui a attiré les collectionneurs et les fondations qui ont pu découvrir une sélection où les œuvres textiles se sont démarquées. La greffe entre La Mamounia et DaDa, le nouvel espace de la foire, s’est avérée plus délicate que prévu. 

L’édition 2024 de la 1-54 Marrakech s’est déroulée dans l’euphorie habituelle d’un milieu culturel qui se met au rythme de cet évènement marché. Cette année, la répartition des galeries sur deux lieux – La Mamounia et DaDa Space, place Jamaâ El Fna – a engendré des niveaux de vente contrastés.

“Nous avons fait de belles ventes” note Jacques-Antoine Gannat, fondateur d’African Arty qui avoue que le choix d’exposer à DaDa était un pari. Si le galeriste casablancais reconnaît les efforts de la foire pour promouvoir ce nouveau lieu, il émet cependant des réserves: “le public a l’habitude de se rendre à La Mamounia, je me demande s’il n’y a pas une déperdition de flux entre les deux espaces”. DaDa a aussi souffert, le vendredi, de la journée de pluie qui, bien que très attendue dans le pays, s’est révélée un facteur perturbant pour les affaires. “Un jour de pluie, cela représente un quart de la durée de la foire” remarque la galeriste Katharina Maria Raab sur le stand de laquelle on pouvait voir des œuvres de Mahi Binebine, Ahmed Kamel et Hicham Benohoud.

Estampillé « lieu de la fête et des off » en souvenir des éditions précédentes, DaDa n’a peut-être pas été compris comme un prolongement de la foire par un public familier du confort de La Mamounia. Il n’en demeure pas moins que les institutions ont fait le déplacement, selon l’enseigne Revie Project qui estime que plusieurs fondations sont venues à DaDa pour repérer les jeunes artistes. Et c’est peut-être là que le bât blesse paradoxalement : “exposer à DaDa nous a sans doute catalogué scène émergente”, poursuit Jacques-Antoine Gannat. Un label à double tranchant au vu de la frilosité actuelle du marché.

Vue de l'accrochage de la série 28x4 de Ghizlane Sahli sur le stand de la galerie Christophe Person.

Textile et petits prix

Côté Mamounia, espace traditionnel de la 1-54, le format boutique fair continue à plaire et attire un public qui aurait presque ses habitudes, donc. Il suffisait de sillonner les allées du ballroom pour noter une montée en puissance du textile avec un engouement très marqué pour les petits formats tissés sur papier. La galerie Christophe Person qui présentait pour sa première participation à Marrakech l’artiste marocaine Ghizlane Sahli, a trouvé acquéreurs pour une quarantaine de pièces de la série 28×4 à 700 euros chacune.

Même engouement pour les petits formats-petits prix sur le stand de la Galerie Carole Kvasnevski qui, dès la première matinée, avait vendu une vingtaine de dessins brodés sur Canson de l’artiste malien Ibrahim Ballo, à moins de 1000 euros l’unité. Les encres de l’artiste congolais Yvanovitch Mbaya, affichées sur le stand de la galerie 208, ont aussi rencontré leur public avec la moitié des œuvres acquises.

Amoako Boafo, Alphabetical Hoodie, 2023, huile sur toile, 100 x 100 cm. Courtesy Gallery 1957

La sculpture, trendy ? 

Les ventes n’étaient pas toujours là où on les attendait. La galerie Afikaris annonce sold out, non pas pour les peintures engagées de Jean David Nkot ou les compositions abstraites de Nasreddine Bennacer mais pour les tapisseries en céramiques d’Ozioma Onuzulike (entre 6 000 et 30 000 euros selon les dimensions) et les bronzes d’Hervé Yamguen (4 000 euros). “Il y a une vive curiosité pour des médiums autres que la peinture”, confirme Michaëla Hadji-Minaglou, manager de la galerie parisienne. Si la sculpture a été peu présentée par les enseignes les années précédentes et si elle restait très largement anecdotique lors de cette édition, elle suscite malgré tout l’intérêt des acheteurs. À DaDa, le jeune galerie Meryem Himmich a, par exemple, vendu trois céramiques de Zineb Mezzour.

Est-ce dire qu’il y a un essoufflement de la peinture ? Ce serait aller vite en besogne. Les artistes déjà bien cotés attirent toujours les collectionneurs comme on le comprend du bilan que dresse le galeriste anglo-libanais Marwan Zakhem. Le fondateur de Gallery 1957 (Accra, Ghana) se dit satisfait “des bonnes ventes ” et confie avoir “rencontré des institutions et collectionneurs intéressants”’. Il présentait sur son stand placé à l’entrée de la foire, le peintre ghanéen star Amoako Boafo proposé autour de 150 000 dollars.

Ce même intérêt pour les artistes reconnus se confirme du côté de la galerie 208 qui a cédé deux toiles sur trois de l’artiste ivoirien Armand Boua (des grands formats annoncés autour de 17 000 euros dans notre numéro spécial). Une première participation très concluante, selon le directeur de la galerie 208, Pierre Henry Gamelin, qui a également vendu à une collection privée marocaine une sculpture du M’barek Bouhchichi, exposée en off au Mandarin Oriental. Cette curiosité croissante pour Bouhchichi, plébiscité dans les grands rendez-vous de l’art – dernièrement la biennale de São Paulo – s’est vérifié sur le stand de L’Atelier 21 (Casablanca) qui présentait les portraits noirs de l’artiste.

MOUS LAMRABAT Royaume des Lions , 2019, Gravure d'art, Impression jet d'encre, papier : Hahnemühle Photo, Rag Ultra Smooth 305g, 200 x 133 cm 1/4

Cette année, la photographie s’est faite plus discrète sur les stands. La galerie dakaroise M Concept, qui a entièrement misé sur ce médium, ne repart pas les mains vides. Les trois jeunes photographes qu’elle présentait – Badara Preira, Iman Zaoin et Amy Sarr – ont trouvé preneurs notamment pour le grand format de Badara Preira  L’appel de Layenne dont les 5 éditions ont été écoulées (prix annoncé: 3 500 euros). Sur le stand de la Loft Art Gallery, sans surprise, les tirages pop de Mous Lamrabat ont également séduit.

En dépit du contexte international, les ventes à Marrakech ont été globalement fructueuses selon les exposants. À peine quelques mois après le séisme dévastateur, cette édition de la 1-54 a réuni dans une même énergie une sélection renouvelée de galeries internationales, un public acquis à la cause de l’art contemporain africain et une scène off qui a rempli son contrat.

Emmanuelle Outtier