Pays-Bas – Maroc, la lune de miel ne fait que commencer

Vue de la foire KunstRai 2023. Photo © Almicheal Fraay

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Un temps quasi inexistante, la coopération culturelle entre le Maroc et les Pays-Bas a pris un nouveau tournant depuis quelques années avec pour objectif clair, de la part de Néerlandais, de densifier les échanges entre les deux pays.

Yto Barrada au Stedelijk Museum l’hiver dernier, Hassan Darsi lauréat du prix Prince Claus Impact 2022 : il y a des indicateurs qui ne trompent pas sur le rapprochement entre les Pays-Bas et le Maroc. De même, en mai dernier, la foire KunstRai Amsterdam organisait un focus marocain avec la volonté de déconstruire auprès de son public quelques clichés bien installés sur le pays invité et, par capillarité, sur la diaspora marocaine aux Pays-Bas, estimée à 400 000 personnes en 2019.

Cinq galeries de Tanger, Casablanca et Marrakech avaient fait le voyage pour montrer – de Mohamed Hamidi à Karim Chatter, Mahi Binebine, Alia Ali ou Nabil Boudarqa – un aperçu de ce qui fait l’art marocain aujourd’hui. Plus qu’un simple évènement marché – qui a suscité la curiosité des visiteurs mais s’est révélé mitigé en termes de ventes –, ce focus incarne davantage la dynamique que les Pays-Bas tentent d’instaurer avec le Maroc dans le champ culturel et plus spécifiquement dans celui des arts visuels.

Il faut remonter le temps pour le comprendre pleinement, au moment où le Cobra Museum inaugurait « The Other Story », première rétrospective sur l’art marocain depuis l’indépendance, curatée par le très populaire écrivain Abdelkader Benali. « L’exposition au Cobra Museum a fait l’effet d’un révélateur qui nous a ouvert les yeux », reconnaît le directeur de la foire KunstRai, Erik Hermida, pour qui celle-ci rompait avec une certaine vision folklorique du Maroc qui persiste chez certains de ses compatriotes.

« Cela a été un point de départ décisif », renchérit Myriam Sahraoui, consultante auprès de DutchCulture, un organisme autonome chargé, par le ministère de la Culture et celui des Affaires étrangères, de la mise en relation entre les organisations culturelles néerlandaises et celles des pays tiers. Et d’ajouter : « Faire cette exposition a été un énorme pas dans notre coopération avec la Fondation Nationale des Musées. » C’est sans doute à partir de cet événement jalon que les Pays-Bas ont mis un pied assuré dans le milieu culturel institutionnel marocain, débouchant sur plusieurs programmes d’échanges, de formation et de projets d’exposition. 

Vue de la foire KunstRai 2023. Photo © Almicheal Fraay

Principe de réciprocité

Réglée comme du papier à musique, la politique de coopération des Pays-Bas cible, tous les 4 ans, un ensemble de pays vers lesquels ils dirigent, en priorité, leurs efforts diplomatiques et leurs fonds culturels. Le Maroc, depuis 2018, a intégré ce cercle de happy few (24 en tout). « C’est comme si une fenêtre de tir s’ouvrait », note Myriam Sahraoui. Dans ce nouveau pacte entre le Maroc et la Hollande, un effort particulier est porté sur la formation des professionnels du secteur de la culture.

En décembre 2022, les conservateurs de huit musées nationaux marocains se sont ainsi rendus à Amsterdam, dans le cadre d’un échange d’expertises réalisé sous la houlette de la Reinwardt Academy. « Nous sommes en train d’organiser le voyage retour avec un groupe d’experts néerlandais qui iront à la rencontre des initiatives marocaines », relève Dewi van de Weerd, ambassadrice pour la coopération culturelle internationale, qui décèle dans ce nouveau dialogue « un énorme potentiel. »

Le principe de réciprocité prime entre les deux pays. Pour preuve, le Musée Mohammed VI accueillera à l’automne 2024 une exposition sur le groupe CoBrA en partenariat avec le musée éponyme néerlandais. Un renvoi d’ascenseur, après « The Other Story », qui marque le signe d’une coopération voulue comme symétrique. Une occasion aussi de rappeler les liens culturels anciens et parfois méconnus entre les deux nations à travers ceux qui ont lié les artistes CoBrA à des plasticiens comme Chaïbia ou Jilali Gharbaoui. On l’oublie peut-être souvent mais celui-ci voyagea en 1962 à Amsterdam et fut influencé par le peintre Karel Appel, fondateur du groupe CoBrA.

Vue de la foire KunstRai 2023. Photo © Almicheal Fraay

Si cette coopération entre institutionnels ouvre un nouveau chapitre diplomatique, les Pays-Bas entendent aussi favoriser les échanges entre artistes ciblant clairement sa diaspora marocaine, « une communauté importante de plus en plus présente dans le milieu culturel », remarque Myriam Sahraoui. La designer maroco-néerlandaise Mina Abouzahra exposait ainsi à la KunstRai son nouveau travail réalisé à Taznakht lors d’une résidence financée dans le cadre de cette nouvelle collaboration. Elle y mixe design néerlandais et savoir-faire marocain en un ensemble de pièces textiles évoquant la filiation et les menstruations.

De même, grâce au Mondriaan Fund et au Creative Industries Fund NL, deux artistes nééerlandais effectueront fin 2023 et début 2024 une résidence de plusieurs semaines à Think Tanger. Les liens se resserrent et petit à petit, les Pays-Bas tissent leur réseau. Fin mai, une petite délégation posait bagage à Casablanca pour y rencontrer ses acteurs culturels. Une diplomatie encore discrète mais bel et bien effective, donc. 

Emmanuelle Outtier