LE MARCHÉ DE LA PHOTO REGARDE VERS LE MOYEN-ORIENT

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Exit les images d’artistes qui se négociaient il y a peu encore pour 50 000 € et plus ! Aujourd’hui, le seuil psychologique du collectionneur moyen s’affiche avec un zéro de moins. La cote des photographes contemporains aussi…

Les ventes se concluent à 2 000 – 3 000 € plutôt qu’à 5 000 € ». Tel est le constat du galeriste parisien Baudoin Lebon pour ce qui est de la photo XIXe dont les tarifs n’ont cessé de chuter. « En tout cas, depuis les deux ventes Jammes chez Sotheby’s à Londres en 1999 et Paris en 2002 », précise le marchand. Sans doute certains clichés adjugés à l’occasion furent-ils surpayés. Malgré la sur-médiatisation des records atteints par la photo primitive, les valeurs ont perdu plus de 50% en dix ans. Ainsi La Grande Vague, Sète, la fameuse marine de Gustave Le Gray, datée de 1855, qui fut acquise à l’automne 1999 par le Sheikh Saoud al Thani du Qatar chez Sotheby’s Londres pour 460 000 £ (718 000 €) – décuplant au passage ses estimations –, ne « décrochait » que 100 000 € chez Pescheteau-Badin-Godeau-Leroy au printemps 2001 pour un format inférieur, il est vrai. Bref, dégonflée la bulle spéculative ! Sans parler de l’actuelle crise financière et des cinq derniers trimestres de baisse consécutive sur le marché de l’art… Pour autant, la raréfaction des œuvres n’empêche pas les bonnes affaires. Alors, l’année 2009 finira-t-elle sur des résultats plus positifs ? En novembre, sur Paris Photo, Baudoin Lebon présentera des vues d’Egypte de Le Gray justement entre 10 000 et 150 000 €.

Parmi les modernes, Bernheimer (Munich) exposera la série Persia par Horst P. Horst réalisée en Iran en 1949, 1950 et 1951. Comptez entre 15 000 et 100 000 € pour des vintages d’époque de ce maître allemand décédé en 1999. Pour information, son plus gros score en ventes publiques – 288 000 $ – fut obtenu chez Christie’s New York en avril 2007, avec Mainbocher Corset, Paris (1939). Autre maître du côté de la Fondation Arabe pour l’Image sur Paris Photo : artiste arménien né en 1921, Van Leo (voir portfolio de Youssef Nabil en p. 36) vécut d’abord en Turquie avant d’arriver en Egypte. Féru de glamour hollywoodien, celui-ci travaillait essentiellement à base de lumières artificielles, d’effets d’ombres et de miroirs, photographiant dans son atelier du Caire des anonymes comme des stars de cinéma. En 2000, Van Leo reçut le Prix du Prince Claus pour l’ensemble de son œuvre. Après quoi, il s’éteint à l’âge de 80 ans.

D’autres grands classiques toujours actifs seront au Carrousel du Louvre. Tel Bahman Jalali (Iran) qui s’échange de 5 000 à 10 000 €. A voir ou revoir chez Silk Road (Téhéran) dont la fondatrice, Anahita Ghabaian Etehadieh (voir interview en p.76), assure cette année la direction artistique de la IIe Biennale Photoquai des images du monde au Musée du Quai Branly (22 septembre – 22 novembre 09). Au programme, « 165 ans de photographie iranienne » avec des portraits du règne Qajar et jusqu’aux productions les plus actuelles d’artistes installés en Iran et à l’étranger.

Vision kaléidoscope

Illustrant nos modes de vie actuelle, la photographie contemporaine séduit depuis les années 2000. Si les nouveaux collectionneurs y ont trouvé leur compte, les amateurs y ont également pris goût. Grâce aux festivals historiques, comme les Rencontres d’Arles qui fêtaient cette année leur 40e anniversaire. Mais aussi aux biennales spécialisées comme FotoFest à Houston dont la prochaine édition se tiendra en mars-avril 2010. Ainsi qu’à travers maintes expositions organisées par les meilleurs musées du monde. Que ce soit outre-Atlantique, au Getty de Los Angeles ou à l’International Center of Photography (ICP) de New York. Comme en Europe, au Jeu de Paume à Paris, à la Tate Modern de Londres, au Musée de la photographie d’Amsterdam (FOAM) ou celui de l’Elysée à Lausanne. Aussi prestigieux qu’estimés, ces lieux contribuent à eux seuls à la reconnaissance critique d’une œuvre photographique. « A ce titre, les artistes arabes nés dans les années 1960-70 intègrent aujourd’hui les galeries majeures du circuit international de l’art contemporain », atteste Guillaume Piens (voir interview en p. 62), directeur de Paris Photo. Les égyptiens Youssef Nabil chez Michael Stevenson (Cape Town), Hassan Khan chez Chantal Crousel (Paris), les libanais Walid Raad chez Paula Cooper (New York), Akram Zaatari chez Sfeir Semler (Hambourg/Beyrouth), la marocaine Yto Barrada chez Polaris (Paris) pour ne citer qu’eux.

On remarque en même temps qu’une majorité des artistes émergents du monde arabe utilise l’image photographique et/ou vidéo comme principal moyen d’expression : Faisal Samra (Bahreïn), Taysir Batniji (Palestine), Lara Baladi (Liban), Mitra Trabizian (Iran), Reza Aramesh (Iran), Khaled Hafez (Egypte), Rana El Nemr (Egypte), Tarek Hefny (Egypte), Moataz Nasr (Egypte)… Entre actualité et allégorie, ces derniers explorent dans l’ensemble les questions de l’identité, de la modernité et de la territorialité.

Pour le galeriste new-yorkais Edwynn Houk, membre du comité de sélection du salon Paris Photo, «Après la Chine et l’Inde, la tendance actuelle est bien aux pays arabes. En 2009, c’est le marché montant. Mais sans inflation de prix. Evitant l’escalade, le marché moyen-oriental privilégie une approche plus méthodique qui s’inscrit dans la durée ».

Essaydi et Barrada en vogue

Pour preuve, l’intéressé vient de consacrer une monographie à Lalla Essaydi et ses Femmes du Maroc déjà bien représentées dans plusieurs grandes collections américaines dont l’Art Institute de Chicago. A l’occasion de Paris Photo, l’ouvrage publié à 12 000 exemplaires en coédition avec Powerhouse (Brooklyn) devrait attirer l’attention du public sur ces images de femmes calligraphiées (cf. Portfolio diptyk n°1). En juin dernier, le n°3 de Harem Beauty # 2 daté 2008 (122x152cm) se négociait 24 000 € sur ArtBasel. Autre artiste d’origine marocaine, Yto Barrada compte elle aussi parmi les photographes les plus appréciés du marché. Aux cimaises de l’Hôtel de Sully-Musée du Jeu de Paume à Paris en 2006, de retour aujourd’hui à la IIIe Triennale de l’ICP de New York, on peut voir ses pièces chez Polaris (Paris) ou Sfeir Semler (Hambourg/Beyrouth). Tirées à 5 exemplaires, ses photographies adoptent toujours des formats carrés, se monnayant de 2 500 à 15 000 € selon leur taille. Au sein des plus prestigieuses collections – du Moma de New York à la Fondation Tapiès de Barcelone –, ses œuvres déclinent une image à la fois symbolique et méconnue du Maroc. Il en va ainsi de son projet Iris Tingitana, exposé à la Biennale de Venise 2007, qui tourne autour de cette fleur de Tanger menacée par l’expansion urbaine. D’une manière générale, et concernant l’évolution du marché photo d’après Artprice, les prix auraient progressé de 106% entre octobre 2001 et avril 2008 avant une perte de 25% sur le reste de 2008. Même son de cloche dans le Golfe persique, confirme Claudia Cellini, co-directrice de la galerie Third Line (Dubaï et Doha) : « En 2005, Youssef Nabil valait environ 2 000 $. Quatre ans plus tard, il coûte logiquement 20 000 $ »  . En soi, ce n’est pas un effet de mode, plutôt un juste rééquilibrage qui traduit l’éveil des collectionneurs moyen-orientaux pour la photo créative. Chez Third Line, d’autres artistes font parler d’eux, avec des pièces à saisir entre    2 000 et 5 000 € en moyenne : Lamya Gargash qui représenta le Pavillon des Emirats Arabes Unis à la Biennale de Venise 2009, Tarek Al-Ghoussein (Palestine), Shirin Aliabadi (Iran), Hassan Hajjaj (Maroc), Fouad Elkoury (Liban)… Et puis, signalons encore à la Galerie 127 (Marrakech) l’œuvre de Malik Nejmi (Maroc) qui participa aux VIe Rencontres africaines de la photographie de Bamako (Mali) en 2005, et lauréat du premier Prix de photographie de l’Académie des Beaux-Arts de Paris en 2007. Comme on le voit, l’histoire ne fait que commencer !