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Y A-T-IL UN MARCHÉ DE LA PHOTO AU MAROC ?

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Des expos rigoureuses, des photographes marocains reconnus à l’international, des adjudications records et un public de plus en plus captif. Le marché, encore balbutiant, est-il pour autant prometteur?

« La photographie est un art nouveau au Maroc », affirme Aziz Aouadi, marchand d’art. A l’échelle nationale, on ne compte qu’une galerie spécialisée en expo-vente de ce médium, la Galerie 127, et quelques expositions dans d’autres galeries d’art. Nathalie Locatelli, gérante de la Galerie 127, est la mieux placée pour en témoigner : « C’est un marché encore balbutiant, que j’essaie de provoquer. Ma clientèle aujourd’hui est essentiellement étrangère. Pourtant, il faut bien expliquer que la photographie est un art sérieux qui génère des chiffres d’affaires importants, qui plus est, un marché énorme à l’étranger. »

La cote internationale, une garantie

C’est pour cela que des galeries d’art osent depuis peu exposer de la photo. Hadia Temli, directrice de la galerie Tindouf, elle, a décidé de montrer les travaux de Lalla Essaydi. « J’appréhendais beaucoup cette exposition parce que la photographie n’est pas considérée comme un art au Maroc. Pour beaucoup, prendre une photo, c’est se contenter d’appuyer sur un bouton.» Hassan Sefrioui, de la galerie Shart, revient sur l’accrochage de Lamia Naji qu’il a organisé en avril 2008 : « Durant cette exposition, j’ai découvert qu’il y avait des collectionneurs, des amateurs. Et puis Lamia Naji est une artiste au CV très solide. A partir de là, il y a une confiance qui s’installe avec l’acheteur. En photographie, l’artiste doit être reconnu internationalement. » Ce que Nathalie Locatelli confirme : « J’opte souvent pour un travail très personnel de l’auteur avec des sujets qui me touchent. » Mais que ce soit pour le travail de Tony Catany, pour les portraits au féminin de Ali Chraïbi, ou pour l’Egypte authentique de Denis Dailleux, elle est formelle : « Mon critère le plus important, c’est d’exposer une photographie d’art reconnue sur le marché international. » 

Tirages sous contrôle

La photographie obéit à des règles autres que celles régissant la peinture. « Il y a une législation concernant la photo. Contrairement à un tableau, une photo est un multiple. Un tableau est unique ; ce n’est pas le cas de la photo, pour laquelle il est fait un certain nombre de tirages, d’autant qu’aujourd’hui, avec le numérique, on peut vite tomber dans des formats d’édition sans même le vouloir. Il faut être vigilant, en confiance réciproque avec l’artiste afin que les tirages prévus soient respectés dans leur nombre et dans leur format. La règle aujourd’hui veut que la photo demeure dans son format original. Si elle est tirée par exemple en 60×80, les cinq exemplaires doivent être identiques », explique Hassan Sefrioui.

La question du tirage décourage parfois une clientèle habituée à l’exclusivité des œuvres qu’elle acquiert. A tort, comme l’analyse Nathalie Locatelli : « La photographie est un genre artistique avec des codes et surtout une éthique. Elle est pareille à la peinture. On s’inquiète souvent au sujet du nombre de reproductions, mais qui empêcherait un peintre de reproduire la même peinture ? C’est là qu’intervient le rôle de la galerie. Elle est l’interface entre le photographe et le client, pour veiller au respect des règles établies».

En photographie, les envies du public marocain commencent à émerger, assez pour qu’on puisse en brosser les contours. « Je me souviens de la première exposition à la galerie, celle de l’Espagnol Tony Catany, qui a marqué le public. Beaucoup ont alors fait la remarque que son œuvre ressemblait à de la peinture. Un constat qui sert et dessert en même temps le propos photographique. »

Combien ça coûte ?

On aime en général une photo aux allures de peinture, mais également des paysages, des natures mortes ainsi que des photos à valeur ethnographique. Les acheteurs semblent moins emballés par les portraits. Normal, assure Nathalie Locatelli, « tout le monde sait que c’est un genre difficile dans la photographie. » Autre succès, celui du phénomène Lalla Essaydi que confirme Hadia Temli : « Lalla Essaydi a beaucoup plu. Aux étrangers comme aux Marocains. Ils y ont retrouvé l’univers du henné, de la femme marocaine dans des rituels marqués par la calligraphie.»

Une question qui revient souvent : quel est le prix à débourser pour une photographie ? « Si on veut convaincre la conscience collective que la photographie est une œuvre d’art, il faut présenter des œuvres d’art. Une œuvre d’art, c’est une œuvre qui est reconnue par le marché international et qui a bien entendu un prix. Mes prix démarrent à 1 600 DH ; la photographie la plus chère que j’aie en galerie aujourd’hui est une œuvre de Gérard Rondeau, un portrait de Paul Bowles, 120 x 120 cm, sur du beau papier argentique, et qui vaut entre 80 000 et 90 000 DH. Tout dépend du photographe, de sa notoriété, du moment où il entre sur le marché », explique Nathalie Locatelli. Les œuvres de Lamia Naji à la galerie Shart ont été vendues en format unique 90 x 120 cm pour toutes les photos présentées à 18 000 DH pour le premier tirage. « Avec la photo, plus on avance dans le tirage, plus la photo est chère, parce qu’on s’achemine vers l’épuisement de la photo », précise Hassan Sefrioui. Les photos de Lalla Essaydi se sont vendues dans des éditions de 15 tirages à 100 000 DH, et dans les éditions de 10, à 150 000 DH. « Nous nous sommes alignés sur les prix de sa galerie new-yorkaise. Pratiquer un prix spécial Maroc était exclu pour la photographe et pour sa galerie », insiste Hadia Temli. Aziz Aouadi affirme pour sa part avoir vendu une photographie de Shirin Neshat, série Touba, pour 100 000 DH dans un format 40 x 50 cm, pour un tirage de 25. Il a également vendu une photo de Shadi Ghadirian dans un format 80 x 60 et une édition de 30 tirages pour 35 000 DH, ainsi qu’une œuvre de Fouad Maazouz (Moulay Sultan), tirage 7/10 60 x 100 cm à 22 000 DH.

La grande photo se trouve aussi dans les ventes aux enchères. La photographie y a fait son entrée en tant qu’art moderne et non plus sous forme de documents anciens ou de cartes postales. A la CMOOA, par exemple, dans toutes les dernières ventes d’art contemporain figurent en bonne place les œuvres de photographes internationaux français, iraniens ou marocains dont les adjudications dépassent souvent toutes les estimations. Ainsi, une œuvre exceptionnelle de Lalla Essaydi estimée entre 150 000 et 180 000 DH s’est vendue au prix de 280 532 DH.

Des expositions menées de manière rigoureuse par des galeries sérieuses, un espace comme la Galerie 127 entièrement dédié à la photo, des photographes marocains reconnus à l’international, des adjudications records et un public qui commence à s’intéresser à la photographie… Faut-il déjà se réjouir pour l’avenir du marché de la photo au Maroc ? A priori oui, mais le chemin est encore long : « Dans le fichier des clients de ma galerie, 50% sont marocains, et ce sont généralement les grands absents lors de mes vernissages », conclut Nathalie Locatelli. « Il y a encore un énorme travail à faire sur la photographie au Maroc. J’insiste sur le fait que les artistes marocains ne trouveront leur place que si la photographie trouve sa place au Maroc en tant qu’art. »

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